Autrefois îlot de la démocratie dans la zone ouest-africaine, le Bénin, aborde un tournant décisif de son parcours politique. Après les élections législatives et municipales sans la participation des partis de l’opposition, le pays de Patrice Talon s’apprête à aller aux urnes avec ses plus de cinq millions d’électeurs pour désigner son prochain président de la République. Fort de sa mainmise sur l’ensemble des institutions de la république et de plusieurs acteurs politiques qui ne jurent que par son nom, Talon à la gâchette facile de retoucher à la va-vite et à son avantage les textes et lois par le truchement d’un parlement entièrement acquis à sa cause, donne cependant l’air d’un personnage politique en manque de sérénité. Si le chantre de la rupture peut se targuer d’avoir les cartes en main dans cette élection sans grande rivalité entre challengers, il redoute en revanche la force de ses principaux rivaux gardés isolés du débat de ce scrutin.
A l’opposé de Kohoué et Djimba taxés de connivence avec le pouvoir pour un match arrangé entre partenaires politiques, la candidate recalée de “Les Démocrates” Réckya Madougou détenue depuis le 05 mars 2021 et le constitutionnaliste Joël Aïvo lui-même candidat recalé. Autant de figures emblématiques de l’opposition, la témérité chevillée au corps et qui n’entendent pas abdiquer face à la toute puissance, “empereur” des temps modernes. Ces irréductibles, de par leur position, troublent le sommeil des affidés de la rupture qui ont des raisons de craindre à tout instant, des irruptions anti-prorogation du mandat Talon. Cet état permanent de psychose engendre la kyrielle d’initiatives de sensibilisation pour la paix, sur fond d’arrestations des leaders d’opposition et le déploiement excessif des forces armées à travers le pays. Tout ce charivari n’est que la résultante de l’exclusion des candidats d’opposition. Ce durcissement d’attitude du régime, explique sans nul doute la nécessité d’anticiper sur les probables soulèvements des populations. Ces manœuvres, comme ce fut le cas lors des législatives en 2019, malgré les multiples appels au plan national et international à un scrutin inclusif, laissent entrevoir une stratégie du radicalisme du pouvoir dans sa marche forcée vers un second mandat. Cet extrémisme implique plusieurs enjeux.
Ce que craint Patrice Talon.
L’impopularité de Patrice Talon face à un challenger de l’opposition radicale, donnera lieu à une bérézina qui va emporter le chantre de la rupture. L’ayant compris, le pseudo compétiteur se fraie le chemin contre vent et marée pour demeurer l’homme fort du pays, sans partage.
Une option suicidaire qui à la moindre faille, peut conduire droit au fond de l’abîme. La peur du lendemain, des perspectives de révélations sur de nombreux dossiers gardés flous qui seront exhumés. Au plan de la gouvernance, des béninois pour qui la reddition de comptes est restée chimérique, renoueront bien avec les bonnes pratiques.
Enjeu politique : Au-delà de Talon, la mouvance sur du sable mouvant.
Sur le plan politique, la fin du règne sans partage du pouvoir Talon, entraînerait le requiem de la carrière politique de nombre d’acteurs du gotha politique béninois et qui ont pendant longtemps surfé sur les vagues mouvantes de la transhumance. Le renouvellement de la classe politique est inévitable au regard de la composition actuelle de l’opposition largement dominée par de nouvelles têtes en dehors de quelques leaders tels que les anciens chefs d’État mais qui ne sont candidats à rien. Par contre le retour de Patrice Talon à la tête pays conduirait immanquablement à la disparition absolue des détracteurs déjà aux abois, faisant du Bénin un espace sans voix discordantes. L’autre équation est la possibilité de la remise en cause de l’Assemblée nationale dont les députés installés manu militari à l’issue des législatives fortement contestées et dont la légitimité peine toujours à être admise dans l’opinion. Aussi le Bénin reviendra-t-il sur sa constitution qui fait l’unanimité, conformément à l’ordonnance de la cour africaine des l’homme et des peuples dont les décisions ont été violées par le pouvoir de Cotonou.
La rupture, tel un château de sable bâti sur la peur du fusil et de la matraque, risque de s’écrouler. Des exilés, comme le magnant de la volaille Sébastien Ajavon, Valentin Djenontin, Komi Koutché et bien d’autres qui nourrissent des grieffes les plus sévères contre le régime voudraient prendre de leur revanche En interne, la famille Soglo qui a déjà une dent dure contre le régime voudrait en découdre avec lui. Est-il nécessaire de se pencher sur le cas de l’ex-président Boni Yayi qui, après son amère expérience relativement à l’assignation à domicile n’hésitera pas à mettre tous les moyens pour conjurer au passé la gouvernance Talon devenue presque un cauchemar pour nombre de béninois ? Vaille que vaille, Patrice Talon force le passage d’un second mandat pour définitivement maintenir à l’écart du débat politique, ces figures de proue de la classe politique béninoise.
Des langues pourraient se délier.
Si le régime chutait, l’opinion pourrait être témoin de troublantes révélations. L’aspect de bonne gouvernance et la l’absence de cas de corruption qu’on tente de miroiter pourraient être l’instant du manque de dénonciations sur la gestion du locataire de la marina, qui n’attendraient que la fin du régime pour laisser place à des moments de révélations les plus inattendues. La complicité soupçonnée de mauvaises gestions au sommet de l’État pourraient être tirée au clair. Les milliards disparus à la Dgi, les présumées surfacturations dans des marchés publics de gré à gré, le Pvi, la mise sous gestion déléguée du port autonome de Cotonou et même les scabreux dossiers de scandales financiers, comme Icc service, siège de l’assemblée nationale, machines agricoles, Segub gate au goût d’inachevé et autres dénoncés sous l’ancien régime et dont les présumés auteurs entourent l’actuel locataire de la marina qui malgré sa supposée lutte contre la corruption n’a pas pu trancher, refairont surface, à la chute du régime qualifié d’autoritarisme par certains observateurs. Sa chute implique la descente aux enfers des caciques du pouvoir qui ne tient qu’à un fil. Une perspective que n’envisagent pas du tout les princes actuels, d’où cette hargne à défendre bec et ongles l’exclusion de l’opposition aux différents scrutins. Le dernier qui paraît un os dans la gorge de la rupture est l’élection présidentielle prochaine à laquelle l’opposition est écartée.
Loukoumane WOROU TCHEHOU