Ce 23 août 2023 , la communauté internationale a célébrée la Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition. Une journée au cour de laquelle l’ancienne ministre Reckya Madougou depuis sa cellule de prison a rendu un vibrant hommage à Toussaint de Bréda.
Voici l’intégralité de son message.
L’héritage intangible et manifeste de Toussaint Louverture: bris de chaînes et cris de Liberté
Commémoration de la Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition
23 août 2023
Une si émouvante histoire …
Il était une fois, l’une des fois où le chemin sinusoïdal de la liberté de « l’humanité noire » s’est ébranlé. Oui je me permets, d’entrée, cet hypallage, figure de style du registre de l’analogie.
Connaissez-vous Toussaint de Bréda, plus connu sous l’appellation Toussaint Louverture, un général et homme politique franco-haïtien, d’origine afro-caribéenne? Il est né vers 1743 près du Cap-Français (actuel Cap-Haïtien), et est décédé en captivité le 7 avril 1803 à la métropole. Descendant d’esclaves originaires d’Allada dans l’actuel Bénin, il est aussi l’un des premiers penseurs qui élaborent des stratégies pour la décolonisation en pleine conjoncture coloniale.
Tout en ayant conscience de la diversité d’origines, de panthéons et de cultures de mes amazoniens sur mes canaux, je vous lance cette autre interrogation qui surprendra plus d’un: la statue de Toussaint Louverture, fière gardienne à l’entrée de la ville d’Allada au Bénin, fait-elle de vous une muse attentive à vos passages?
Combien parmi nous, pressés par le temps, distraits par la multitudes de pensées qui nous traversent l’esprit quotidiennement, s’intéressent au regard de jais et à l’allure de roc du grand homme passant par son chemin ? En ce 23 août 2023, l’opportunité se présente d’offrir une gerbe d’admiration à ce natif de nos terres, un protagoniste du passé audacieux, qui a tracé son parcours à même les fibres rigoristes de l’Histoire.
Vous avez dit épopée glorieuse? Ce récit chevaleresque débute son ballet contrasté, à la fois étoilé et endiablé, une nuit bénie de 1971. Qui de mes amazoniens ici étaient déjà nés? Je vous souffle que moi non. Pour autant, l’allégorie Louverture, sous le prisme de son héroïsme, a de quoi nous passionner, toutes et tous, en tant que Béninois, Africains, Haïtiens, Caraïbéens, peuples noirs ou humains tout simplement, indépendamment des générations.
Tel un guetteur dans l’obscurité, la nuit du 22 au 23 août, dans la cité autrefois nommée Saint-Domingue, devenue aujourd’hui Haïti, a marqué le prélude d’une révolution retentissante. Et oui, en penseur libre, je préfère le terme évocateur de “Révolution”, en ce qu’il se distingue nettement d’une simple insurrection comme certains récits le prétendent. En effet, elle a bien la cuirasse dure, cette fâcheuse tendance des suprémacistes et leurs ancêtres à réécrire l’histoire de leurs victimes en jetant l’opprobre sur ces dernières, en se gardant bien de même de leur reconnaître tout héroïsme mais en ayant soin à contrario d’ennoblir la partition jouée par les usurpateurs . Comme l’a récemment souligné le président français lors des commémorations des 280 ans de sa disparition, Toussaint Louverture était un “révolutionnaire d’exception”.
À ce moment précis de mon récit, j’aurais tant aimé marquer une pause afin de vous fredonner les paroles édifiantes d’un émouvant Kompa des mythiques orchestres haïtiens Tabou Combo et Haïti twoubadou. N’étaient d’une part mes circonstances actuelles et d’autre part la tragédie de l’éternel recommencement qui se joue en Haïti, ce peuple frère, portant nos gènes, si loin, mais si proche dans nos cœurs. Intercédons pour lui dans nos prières.
Aimé Césaire, l’autre illustre Caribéen et l’un des auteurs les plus affectionnés par le Président Nicephore Soglo, à qui je dois d’ailleurs une fière chandelle pour m’avoir permis de dévorer goulûment son œuvre anthologique, a attribué à Toussaint L’ouverture, le titre émérite de “précurseur”. «Ingénieux, méfiez-vous», murmurait l’empereur tyran français Napoléon Bonaparte, lequel, tel un forgeron du destin, l’a enlacé dans les fils du temps jusqu’à sa fin en avril 1803, détenu en isolement au fort de Joux.
À la croisée des dédales investis par l’illustre Toussaint, s’immerger dans les méandres de l’histoire, a quelque chose de mélancolique, au-delà de la fierté que nous pouvons en éprouver. Ce à quoi n’échappe guère tout artisan de justice sociale. On suit, tout attendri, les hauts faits d’arme et les contradictions, les péripéties et exploits de Louverture, dont les vicissitudes n’ont rien à envier aux intrigues romanesques d’une tragédie antique. Telle une araignée maîtresse des ficelles de sa toile, il a brodé la trame de la révolution en 1791.
L’année suivante, il fut promu chef des «insurgés», chargé de guider les étoiles dans leur trajectoire. Tissant des alliances, faisant face à l’Espagne et l’Angleterre en 1793 et 1794, il a traversé des conflits à l’abri des souffles du destin. Ses escarmouches avec la Convention ont culminé en 1801, période où il s’est vu couronné gouverneur à vie d’un Nouveau Monde, enfin libéré de l’emprise démoniaque de l’esclavage, le plus haut degré de la bestialité dans l’asservissement.
Cependant, le crépuscule a suivi l’aurore. Une défaite aux mains des légions de Bonaparte a teinté le récit de Toussaint. Il ne lui a hélas pas été donné de voir Rochambeau et les forces françaises battant en retraite en décembre 1803, léguant l’île à l’éclosion de l’État d’Haïti. Ainsi, le 23 août, date chargée d’histoires, jour empreint d’émotions et de significations, a été consacré Journée internationale du souvenir de la traite négrière et de son abolition. Depuis ses prémisses en 1998 en Haïti et en 1999 à Gorée, au Sénégal, cette journée, telle une étoile filante, nous invite à plonger dans les vagues du passé pour mieux nous découvrir.
Tel un alchimiste des âmes ou un pèlerin des âges, la commémoration 23 août nous convie à transformer ces connaissances en leçons de vie pour nos sociétés actuelles. Que retenons-nous de l’épopée de Toussaint Louverture et de nos héros qui, malheureusement, n’ont pas bénéficié d’une visibilité marquante? En célébrant cette journée, nous nous engageons également dans la lutte contre l’esclavage moderne, touchant actuellement 50 millions de personnes selon l’UNESCO. Parmi elles, 28 millions sont assujetties au travail forcé, tandis que 22 millions subissent des mariages forcés. Notons que ces chiffres ne prennent pas en compte les filles victimes de mariages forcés.
Quelles formes d’esclavage moderne vous répugnent le plus ? Partagez avec nous vos commentaires. À ceux qui endurent les formes actuelles d’esclavage, y compris dans les ménages, gardez toujours à l’esprit l’espérance de votre affranchissement. Fouillez, recherchez et trouvez dans vos privations actuelles de nouvelles énergies intérieures pour vaincre la fatalité. Croyez-moi, je fais l’expérience d’une visibilité accrue dans la nuit profonde. Aussi antinomique que cela peut paraître, grandir est souvent synonyme de souffrir, les deux rimant d’ailleurs. Il n’y a qu’à observer les bébés dans les phases de poussée dentaire et de forte croissance, ils engagent une âpre lutte pour survivre à diverses pathologies.
En vérité, nos ancêtres nous ont légué bien plus que des vies de souffrance. Ils ont allumé des cierges d’espoir au cœur des ténèbres. À travers leurs chants, leurs prières et leurs rites, ils ont établi une mélodie de l’âme, une symphonie transcendantale qu’aurait enviée Beethoven. Le jazz, le blues et le gospel, fruits des “negro spirituals”, incarnent le murmure de ces âmes, une cascade lyrique jaillissant des ombres et se mouvant en vagues d’émotions. Le candomblé, tel un rite ancien, fusionne le passé et le présent dans une danse sacrée avec les étoiles, tandis que la capoeira, à l’instar d’une chorégraphie combattante, évoque le vague à l’âme et la résistance à travers la grâce du mouvement. Même le tango, poème du désir et de la distance et la salsa, ode à l’élégance ondulante, portent l’empreinte de ces âmes qui se sont élevées malgré les chaînes.
Chers amazoniennes et amazoniens, en honorant ceux qui ont lutté contre l’oppression, interrogeons notre engagement face aux défis contemporains de l’esclavage moderne, du travail forcé, du mariage forcé et de l’exploitation des migrants noirs. Qu’entreprenons-nous pour rendre demain meilleur? Comment nos combats s’inscrivent-ils dans la lignée de Toussaint Louverture et de tant d’autres qui se sont battus pour la liberté? La statue de Toussaint Louverture nous interpelle, l’histoire nous questionne, et l’avenir attend nos réponses.
Haïti, Caraïbes, peace and love.
Reckya Madougou