Dans un style descriptif, Dino Renaud Adohoueto fait un témoignage sur le parcours du primaire au second et surtout la vie professionnelle du professeur Egounwolé Djima. Un enseignant qui a marqué plusieurs générations et qui continue d’impacter sur la jeune génération. Dans un hommage, Dino nous permet de mieux connaître le fondateur du complexe scolaire privé Les Merveilles.
Voici en substance sa plume.
Ce témoignage est rendu à un homme qui a consacré sa vie avec dévouement à l’enseignement. Un homme qui est une école à lui tout seul. Il a impacté des milliers de personnes. Il s’agit du professeur EGOUNWOLE DJIMA. Un homme de valeurs. Un grand homme.
Le professeur Egounwolé Djima a fait l’école primaire à Tchetti. Il vivait chez son oncle maternel Djima Lalèyè. Le petit Djima porte le même prénom que son oncle. Il était alors difficile pour les gens de la maison et même du village de l’appeler Djima comme son oncle et tuteur. Ils l’appelaient donc Egounwolé. A Tchetti au cours primaire, il avait pour camarade de classe Bantolé Yaba, qui fut ambassadeur du Bénin près du Japon. Ils étaient très souvent ensemble. Alors qu’ils ont fait tout le primaire jusqu’au CM2 à Tchetti, c’est à Savalou qu’ils s’étaient rendus pour passer le CEPE. Savalou abritait le seul centre de la région. Les élèves quittaient Dassa, Glazoué et même plus loin pour venir composer à Savalou. Le garçon est studieux. Il obtient son CEPE. Mais à l’époque après votre examen, une difficulté de taille se présentait face à vous. En effet, vous pouvez être classé dans n’importe quel collège sur le territoire national. Nous étions au début des années 60. Après l’obtention du CEPE, chacun se demandait où est-ce que le sort le jettera. La poursuite ou non des études en dépendait dans certains cas. Son ami Bantolé Yaba a été classé au Lycée Catholique Bréguin à Porto-Novo.
Même si le petit Djima n’avait pas encore complètement conscience de ce qui se jouait, toujours est-il que quand son oncle lui avait annoncé avec un air abattu l’endroit où il devra continuer les études désormais, l’enfant a compris que quelque chose n’allait pas. En effet, le natif de Tchetti qui a composé à Savalou a été balancé à Natitingou. L’avenir scolaire du petit Egounwolé semble être hypothéqué.
Mais une lueur d’espoir apparut quand on vint dire à l’oncle qu’il pouvait demander l’intervention de Mr Yahouédéhou André, premier directeur noir de l’école. Mais malheureusement, malgré toutes ses démarches, Mr Yahouédéhou n’eut pu rien faire. La chose n’était simplement pas possible. Tout espoir était perdu.
Une semaine après, alors que son oncle assis et pensif ne savait plus quoi faire face à la situation, son neveu s’est approché et lui a exprimé son vif désir de continuer les études. Pour l’enfant, le cours des évènements ne saurait être fixé de façon irrévocable, surtout si ceci n’est pas à notre avantage. Quand son oncle lui a répondu qu’il n'y avait aucun contact, sans se laisser décourager, l’enfant a répondu qu’ils trouveront bien des gens là-bas pour les aider.
Quant aux parents du petit Egounwolé ils habitaient dans le village de Nbega près de Djidja.
Quelques jours avant la rentrée scolaire, Egounwolé et son oncle sont montés dans un camion T 45 avec une remorque en bois pour tenter l’aventure de Natitingou. Après environ une trentaine de kilomètres, malmené par les secousses, l’enfant a commencé à avoir des malaises. L’oncle se mit à réfléchir. C’est vrai qu’ils finiront bien par arriver à destination un jour, mais il se demandait dans quel état son neveu arriverait à Natitingou. Malgré le calvaire du voyage, il n’était pas possible pour le garçon de repartir à Tchetti comme lui avait suggéré son oncle. L’enfant souffre, mais il serre les dents. Il ne pleure pas. Il ne lâche rien. Le garçon avait compris comme l’a dit Charles Aznavour que le destin se forge avec des larmes au fond des yeux. Même si toutes les larmes ne se voient pas. Mais la douleur est là. Vive, mais muette..
La route Savalou-Djougou était uniquement en terre rouge et totalement dégradée si bien que les chauffeurs étaient obligés de choisir les crevasses dans lesquelles il fallait passer tellement il en avait partout. On ne pouvait pas en éviter. Par endroits, le camion se traînait dans l’eau. Les pannes étaient répétées. Après trois jours de galère, ils sont arrivés à Djougou. De là il fallait se rendre à Natitingou.
C’est donc complètement affaibli et très malade que Egounwolé est venu à Natitingou. Ils sont bien dans la ville des Nantos. Mais perdus et ne sachant pas dans quelle direction il faut aller. Son oncle eut alors l’idée de demander d’après le chef des Yoroubas de la ville. C’est finalement chez le chef qu’Egounwolé est resté. L’enfant du chef était dans la même classe que lui. Il s’agit de Mr Gbadamassi Mouftaou qui a été après directeur du CEG Albarika à Parakou. Les deux garçons sont devenus amis et étudiaient ensemble.
Djima passait en 5ème, quand Mr Fakoundé Jean, le mari de sa cousine qui est instituteur avait été affecté à Natitingou. Il les a rejoins. Mais deux ans après, le couple Fakoundé a quitté la ville. Le jeune Egounwolé s’est retrouvé une fois encore livré à lui-même. Ses tuteurs sont partis de la maison, mais lui est resté. Il n’avait d’ailleurs nulle part à aller. Contre quelques pièces, il transportait des marchandises pour des gens, notamment des vivres pour un monsieur qui est impressionné par ce garçon travailleur qui ne se plains jamais. Il y avait aussi un religieux du nom de Samuel qui habitait la même maison à qui il rendait des services et qui lui donnait à manger de temps en temps. Plusieurs fois, il est allé à l’école le ventre complètement vide. Le soir venu, l’estomac n'a toujours rien reçu. Il faut dormir à jeun. Le lendemain en classe, il faut être vraiment concentré pour entendre les cours du professeur, car le ventre donnait aussi ses coups. Pendant les jours de repos et les congés, il ne va pas glander en ville avec les autres. Il ne reste pas non plus à la maison à se tourner les pouces. Il sait que comme Carlos Ruiz Zafon l’a dit, le destin ne fait pas de visites à domicile, mais il faut aller le prendre par la peau du cou. Alors il se levait et allait proposer ses services dans la boutique Joli Soir qui était située en face de la poste. Là, il travaillait avec eux et on lui trouvait quelque chose. De l’avis de tous, et malgré ses conditions difficiles, il était le plus sérieux en classe. Tout le monde peut ne pas faire son exercice de maison, les professeurs savaient que Egounwolé a eu le temps de faire pour lui. On ne risque pas sa vie dans un T 45 pour rien.
Au CEG de Natitingou, il avait comme camarades de classe le docteur Dakou Bénoît de la pharmacie Tranza à Parakou , l’artiste Dassabouté Pierre, Inoussa Sanoussi, ancien directeur de la main d’œuvre. Après le BEPC, il a été envoyé au Lycée Béhanzin à Porto-Novo où il a obtenu le Baccalauréat. Il était brillant dans les lettres. Alors fasciné par le métier d’enseignant, il a décidé d’être professeur. Au début il enseignait histoire-géographie et français avant de n’enseigner que le français.
Son premier poste fut au CEG1 de Parakou. La 3eme adjointe au maire de Parakou, notre maman Abdoulaye Alimatou a été une de ses élèves dans les années 70. Vingt ans plus tard quand il y est revenu pour enseigner, cette fois-ci c’est le fils Chidiac Spack Assaad qu’il a gardé. Il était connu pour sa rigueur.
Dans le forum des anciens élèves du CEG Whesphal de Dassa qui est devenu CEG 2 de Dassa, les anecdotes croustillantes sur les méthodes du professeur Egounwolé ne manquent pas. On ne fait pas la pagaille dans le collège du professeur Egounwolé. S’il était dit que la chemise Kaki ne devait avoir qu’une poche, si vous en mettiez deux, le professeur Egounwolé se transformait en styliste et vous arrachait publiquement la poche de trop.
A Bantè, on parle encore de ce directeur qui a fait chicoter au drapeau les élèves indélicats qui jouaient aux cartes avec de l’argent.
Dans toutes les localités où il est passé sa rigueur a donné des résultats au-delà des attentes. Ses méthodes étaient jugées dures mais elles ont été efficaces. Nombreux sont ceux qui ont reconnu que si leur professeur Egounwolé n’avait pas eu cette rigueur avec eux, ils auraient pu mal tourner.
Quand il avait été affecté à Logozohè, dans les années 80 en tant que directeur il y a fait des merveilles comme partout ailleurs. Le collège donnait des résultats médiocres au BEPC avant lui. A sa venue, il a instauré ses méthodes qui ont donné des résultats époustouflants. A l’approche des examens, il mettait en place des groupes d’études qu’il surveillait personnellement. On parle toujours avec admiration à Logozohè de ce directeur qui faisait des rondes inopinées la nuit, lanière en main, pour contrôler si le travail se faisait correctement au sein des groupes d’études qu’il a mis en place. Lors des premiers devoirs, tout élève qui avait moins de 7 était pris en main spécialement afin de rehausser son niveau. Pendant les examens blancs, il ne fallait surtout pas avoir moins de 8. Tout doucement du dernier, le CEG est devenu le premier en matière de résultats au BEPC.
Le professeur Egounwolé est un homme de cœur. C’est ainsi qu’il recueillait chez lui partout où il passait des élèves en difficulté. Il créait une sorte d’internat. Les enfants pouvaient atteindre 10. Et c’est lui qui les entretenait et les nourrissait. Il louait même des locaux dans ce cadre.
Une autre marque du professeur est qu’il ne supporte pas le manque de classes. Quand il a été affecté au CEG 2 de Parakou, aujourd’hui appelé CEG Zongo, le collège n’avait pas de second cycle. Quand il a fini de mettre en place le second cycle au CEG Zongo, il a été envoyé au CEG de Tchaourou qui n’avait que le premier cycle. Comme on pouvait s’y attendre, il créa le second cycle. Boni Yayi était président de la BOAD. Il était content de ce directeur de CEG qui fait des merveilles dans sa localité. D’ailleurs les deux se connaissent bien. Ils avaient enseigné ensemble à Parakou. Pour accompagner son ami professeur dans son extraordinaire travail, le président de la BOAD appuyait le collège dans les cantines et autres activités.
C’est à Tchaourou qu’il prit sa retraite en 2001. On pourrait croire que le professeur va déposer la craie et se reposer. Non. Après avoir donné les cours quelques années durant dans les collèges privés de la ville, il créa en 2005 le collège les Merveilles avec quelques amis professeurs. Mais aujourd’hui il en détient seul les rênes. Depuis 2005, il a reproduit dans son collège Les Merveilles, les mêmes procédés qui ont fait de lui une référence plus de 30 ans durant. Il a fait du collège Les Merveilles, une référence avec des résultats très satisfaisants. Son nom sonne comme une caution et un gage de réussite. En l'entendant, les parents sont rassurés en envoyant leurs enfants au collège Les Merveilles.
En tant que père de famille, il n’a pas lésiné sur les moyens, car il sait comment cela a été dur pour lui. C’est pour cela qu’il n’a jamais permis que les siens se retrouvent dans le même cas.
Confronté aux épreuves de la vie, il a toujours su faire face avec dignité. Très attaché aux valeurs morales, c’est un homme de vertus qui a toujours été prêt au dialogue et au consensus, mais loin de toute compromission. Il est reconnu unanimement pour son honnêteté et sa droiture.
Malgré le poids de l’âge, il s’adonne toujours à l’une de ses passions favorites : la lecture.
Amoureux de la nature, il aime se rendre dans sa ferme.
Un jour, un jeune homme d’une trentaine d’années, fatigué par les coups durs de la vie et par la trahison qu’il venait de subir, entra dans son bureau pour lui exposer sa situation. Le directeur après lui avoir prodigué de sages conseils, lui remit une copie de "Si tu peux" de Rudyard Kipling.
Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir
Ou perdre d’un seul coup le gain de cent parties
Sans un geste et sans un soupir
Si tu peux être amant sans être fou d’amour
Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre
Si tu peux être dur sans jamais être en rage
Si tu peux être brave et jamais imprudent
Et, te sentant haï sans haïr à ton tour
Pourtant lutter et te défendre
Si tu peux supporter d’entendre tes paroles
Travesties par des geueux pour exciter des sots
Et d’entendre mentirsur toi leur bouche folle
Sans mentir toi-même d’un seul mot
Si tu peux rester digne en étant populaire
Si tu peux rester peuple en conseillant les rois
Si tu sais être bon, si tu peux être sage
Sans être moral ni pédant
Et si tu peux aimer tous tes amis en frère
Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi
Si tu sais méditer, observer et connaître
Sans jamais devenir sceptique ou destructeur
Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître
Penser sans n’être qu’un penseur
Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite
Et recevoir ces deux menteurs d’un même front
Si tu peux conserver ton courage et ta tête
Quand tous les autres les perdront
Alors, les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire
Seront à tout jamais tes esclaves soumis
Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire
Tu seras un Homme, mon fils.
Ce poème résume bien cet homme qui a consacré sa vie au service des autres.
Nul doute que dans quelques années un collège portera le nom DJIMA EGOUNWOLE ici à Parakou ou ailleurs.
Rendons hommage à cet homme qui a toujours fui les projecteurs. Mais une lumière ne saurait être mise sous un boisseau.
Merci pour tout Professeur. Tu resteras toujours un MODELE.
Dino Renaud ADOHOUETO
41 77 77 71