Les partis politiques et associations panafricains réagissent face à cette situation qui prévaut actuellement. Ce mardi 15 août 2023 à travers la voix du Dr Elie Ouedrago président de l’association Racines du Burkina Faso, les membres de cette association ce sont posés des questions sur la brusque fébrilité des chefs d’État de la CEDEAO.
Voici l’intégralité de leur déclaration lue par Dr Elie Ouedrago.
Suite à la décision des chefs d’Etats de la CEDEAO de faire intervenir l’armée dans les affaires intérieures d’un pays souverain qu’est le Niger, en prenant pour prétexte le coup d’Etat perpétré par la garde du Président Bazoum, démocratiquement élu, nous membres de l’Association Racines, venons humblement joindre notre voix à celle de tous ceux qui, à travers la sous-région, l’Afrique et le monde, prônent la tempérance et l’option non militaire dans la résolution de la crise. Il n’est pas inutile de rappeler que la région n’est pas à son premier coup d’Etat et le Niger non plus. Mais jamais la CEDEAO n’avait jugé utile de faire intervenir des militaires pour combattre d’autres militaires frères afin de réinstaller un ex-président. L’on peut se demander pourquoi une telle solution n’a pas effleuré les grands esprits des Chefs d’Etat va-t-en-guerre de la CEDEAO lors des coups d’Etat survenus au Mali, au Burkina et en Guinée. Il s’agit-là concrètement d’une politique du d’un poids deux mesures qui laisse perplexes les peuples du Niger et de la CEDEAO.
Dans la logique des relations qui lient les pays frères de la CEDEAO, il a toujours été préconisé le dialogue pour les sorties de crises et la région possèdent de nombreux médiateurs qui peuvent assumer avec brio de telles missions. Mais d’où vient la brusque fébrilité qui s’est saisit des Chefs d’Etats du Nigeria, de la Côte d’Ivoire, du Ghana, du Sénégal, de la Guinée Bissau, etc. pour menacer de faire intervenir la force militaire au risque de provoquer une implosion de la CEDEAO et une déstabilisation de la région compte tenu du fait que les Chefs D’Etats des pays comme le Mali et le Burkina ont déclaré que toute agression contre le Mali sera considérée comme une déclaration de guerre contre leurs deux pays ? A ceux-ci, il faut ajouter l’opposition de la Guinée, de l’Algérie, du Togo, de la Russie et des USA qui avertissent que toute option militaire serait contre-productive dans la réinstallation du Président Bazoum, ce d’autant plus désormais, qu’il est accusé de haute trahison et retenu avec certains membres de sa famille.
Quelle que soit la motivation des Chefs d’Etats de réinstaller un des leurs au nom de la démocratie, force est de constater qu’ils font, peut-être malgré eux, le jeu de l’ex-puissance coloniale qui avait misé sur le régime défunt nigérien pour perpétuer la prédation des ressources de la région, dont l’uranium, le pétrole, l’or, etc. Il est affligeant pour les peuples de la CEDEAO, qui n’ont pas été consultés par leurs dirigeants, à travers leur parlement, de voir des Chefs d’Etats de pays dits souverains, faire le jeu de l’ex-puissance colonisatrice en répondant systématiquement à ses injonctions. Que faisons-nous alors de la dignité africaine et de la soif de liberté et de libération des peuples qui grondent à travers tout le continent dont les jeunesses se font l’écho ?
Après la protestation de certaines autorités traditionnelles, coutumières et religieuses, des parlements se sont émus de n’avoir pas été consultés et le parlement de la CEDEAO a désapprouvé toute intervention militaire et préconise un recours au dialogue responsable. Les organisations de la société civile de la CEDEAO se mobilisent pour désavouer l’option choisie par certains de leurs Chefs d’Etats qui sans hésiter veulent faire perpétrer une sale guerre fratricide et endeuiller la sous-région qui, depuis plus d’une dizaine d’années, est confrontée aux violences terroristes avec leurs lots de morts, de blessés et de déplacés internes. La CEDEAO, pendant ces dix longues années faites de sueurs, de sang et d’humiliation, n’a point lever le moindre petit doigt pour sauver le peuple nigérien. Elle ne s’est guère émue des tueries en masses des militaires, des femmes et d’enfants nigériens, s’offusquée des millions de sans-abris et d’affamés et s’offensée des cas récurrents de viols, d’enrôlement de mineurs et de la profanation des morts dont les âmes flânent dans la chaleur du sahel sans sépulture. La CEDEAO, prétextant le manque de moyens, en dix ans, n’a pu trouver une seule raison valable pour aider la population résiliente du Niger, cependant, en moins de deux semaines, peut trouver les ressources nécessaires pour mobiliser des milliers de soldats et de la logistique nécessaire pour sauver la démocratie. Quel paradoxe et quelle honte pour une communauté qui prône la fraternité et la solidarité ? Quelle légitimité la CEDEAO a-t-elle pour prétendre savoir ce qui est mieux pour le peuple nigérien et prétendre le sauver si en dix ans de terreur aucune force en attente n’a été mobilisée pour venir à la rescousse du Niger et des autres pays martyrs que sont le Mali et le Burkina. Si la CEDEAO s’est tue pendant dix ans face à l’Armageddon du Sahel, le bon sens aurait voulu qu’elle se taise à présent pour éviter de décupler son indignité et sa honte. Quel dommage que la souffrance des peuples ne semble pas être la préoccupation des Chefs d’Etats va-t-en-guerre qui préfèrent se mobiliser pour permettre à la France de continuer à exercer sa domination sur le Niger plutôt que de voler au secours des populations et des peuples en lutte contre le terrorisme alimenté par des armes, des mercenaires et des ressources en provenance de l’extérieur.
Nous, membres de Racines, voudrons interpeller tous les chefs d’Etats de la CEDEAO à se ressaisir pour préserver l’outil précieux que leurs prédécesseurs ont su construire afin de permettre au continent d’envisager avec lucidité la fédération des Etats unis d’Afrique. Mais pour y arriver, il est impérieux qu’aucun Etat africain n’agresse un autre pour quelques raisons que ce soit et on ne saurait, au nom de la démocratie, faire la guerre à un autre Etat au moment où dans certains des pays donneurs de leçons, les constitutions sont violées et les droits de l’homme bafoués. Il est à rappeler à tous que la démocratie est un processus de longue haleine et non une imposition par la force des armes.
Après avoir construit la CEDEAO des Chefs d’Etats, il urge que nous parvenions à la CEDEAO des peuples, car laisser une telle organisation aux seules mains des Chefs d’Etats sans le contrôle permanent et la sagacité des peuples peut se révéler funeste à long terme. C’est la raison pour laquelle, nous saluons le sursaut du parlement de la CEDEAO et lançons un appel pressant à tous les parlements africains, les légitimités coutumières et traditionnelles, les leaders religieux à désapprouver bruyamment la forfaiture que s’apprêtent à commettre certains de leurs dirigeants et à s’inscrire résolument dans la voie de la lutte pour l’indépendance véritable du continent. Ceci passe par une dénonciation systématique de tous les accords néocoloniaux qui sont autant de genoux asphyxiants qui hypothèquent l’avenir de la jeunesse obligée de traverser la mer et le Sahara, au péril de leurs vies.
Vive la CEDEAO des peuples et vive l’émergence d’une Afrique nouvelle, indépendante et libre !
Fait à Ouagadougou, le 15 août 2023
Le Président de l’Association Racines
Dr Élie OUEDRAOGO (Naaba Baongo de Gourcy)