Kokoma est une unité administrative du quartier Baka dans le deuxième arrondissement de Parakou. Une zone où vivent des ressortissants du département de l’Atacora depuis plusieurs dizaines d’années. Mais des années après s’être installés, ces occupants “étrangers” sont aujourd’hui poussés à quitter les lieux après une opération de lotissement controversée. Chose qu’ils n’entendent pas exécuter car se sentant léser. La situation est à l’origine d’un conflit avec les supposés propriétaires terriens.
Encore un conflit domanial, un de plus dans les nombreux contentieux fonciers enregistrés ces dernières années au Bénin. Cette fois nous sommes à Kokoma à Parakou où les occupants des terres agricoles et les supposés propriétaires ne parlent plus vraiment le même langage. Mais que se passe-t-il réellement ?
La genèse du conflit
A la recherche du mieux-être, une famille de ressortissants atacoriens venus de Boukoumbé s’installe en 1978 à Kokomapour des travaux champêtres, grâce à un autochtone du nom de Saka qu’ils ont retrouvé sur les lieux. Il s’agit de Dominique N’tcha N’passani et de son jeune frère Anicet Kouagou accompagnés de leurs femmes et enfants. Ils ont passé des dizaines d’années à détruire des forêts, faire face aux animaux sauvages et aux reptiles, produire pour faire face aux besoins de la famille, bref, près de 40 ans pour rendre la zone viable jusqu’à ce qu’en 2014 tout bascule. Des individus se réclamant propriétaires du domaine commencent à se présenter à eux et menacent d’arracher la terre de « leursaïeux ». « Nous on a abattu la forêt qu’on a remplacée par des arbres fruitiers, depuis 1978 jusqu’aujourd’hui. Nous avons des enfants qui sont nés ici et qui sont enseignants aujourd’hui. Subitement le bornage est venu à notre niveau et ils disent de quitter sur le terrain soi-disant que nous ne sommes pas des propriétaires terriens, que nous sommes des étrangers », confie Anicet Kouagou, la soixantaine. De toutes les façons l’opération de lotissement conduite par un cabinet géomètre fut menéeà Kokoma. A l’arrivée, les occupants perdent une grande partie des superficies qu’ils détenaient. « Sur 16 hectares on donne 8 parcelles à une personne. Chez mon oncle, il a 6,5 hectares on lui donne 5 parcelles», confie Innocent Kouagou M’po, neveu de Anicet Kouagou, renchéri par Simplice N’tcha N’passani, fils de Dominique N’tcha N’passani : «Le vieux ne savait pas combien de parcelles lui revenait puisqu’il est sur une superficie de 6 hectares et demi. Après les vérifications au près du comité de lotissement, je me suis rendu compte que c’est seulement 5 parcelles sur 6,5 hectare». Mais comme si cela ne suffisait pas, les quelques parcelles cédées à ces ressortissants de l’Atacora sont encore objet de discorde. Les mêmes individus à l’origine des opérations de lotissement reviennent discuter ces lopins de terres avec les occupants. De quoi susciter des interrogations dans la tête de ces derniers. Sur quelle base ont-ils bénéficié de ces parcelles alors qu’ils sont traités d’étrangers ? Qui sont ceux qui sont les vrais propriétaires terriens ? Des questions sur lesquelles Simplice N’tcha N’passani et Innocent Kouagou veulent des explications.
Les occupants traités d’étrangers, les chefs de terre s’en lavent les mains, les autorités appelées à réagir.
Pour les personnes qui réclament la propriété de ce domaine, le discours est tout autre. Ils persistent et signent que ces terres appartenaient à leurs ancêtres. Le cabinet géomètre ayant mené l’opération de lotissement dit avoir fait les choses dans les règles de l’art.
Souleymane Issifou est le Secrétaire Général du cabinet géomètre et en même temps Vice-président de la coopérative «Dan kamiarakpa », une coopérative de production agricole qui se réclame propriétaire de la zone objet de conflit. Pour lui les ressortissants atacoriens doivent voir la réalité en face car ils sont des étrangers. «Ils sont sous quelqu’un là. Aujourd’hui dès que c’est moi qui t’ai dit vient rester ici, demain tu ne peux pas me dire que tu es propriétaire. Les propriétaires de Kokoma au moment du lotissement ont pris leur terre», se défend- t-il avant de se montrer plus claire : «Eux ils ne peuvent pas venir ici nous arracher nos terres. Dieu nous a créés et il a installé chacun dans sa zone». Mais du côté des chefs de terre de Kokoma, l’on ne veut pas être associé à ce litige. L’un des princes de la cour royale dit avoir tiré la sonnette d’alarme sur les conséquences de ce lotissement qui n’avait pas reçu l’assentiment de la majorité, sans être écouté par les membres du comité de lotissement. De toutes les façons les victimes elles veulent une clarification sur la façon dont ce travaila été effectué pour que des individus sortis de nulle part viennent s’accaparer des terres qu’elles occupent depuis près d’un demi-siècle. Dans ce sens elles ont mené plusieurs démarches infructueuses auprès des autorités pour connaître les vrais propriétaires de ces terres. Selon leurs dires, elles sont chaque jour assiégées par les acquéreurs qui se refusent de donner l’identité de ceux qui leur ont vendu le domaine tout comme le cabinet géomètre. Ces occupants dénoncent également un jeu flou entre le comité de lotissement et le cabinet géomètre. Face à tout ceci, ils ont saisi l’Organisation pour la Défense des droits de l’Homme et des Peuples (Odhp) section départementale du Borgou. L’organisation, après ces enquêtes sur le terrain, a adressé une note au Préfet du Borgou, Djibril Mama Cissé. Une note dans laquelle elle soupçonne un réseau de mafia installé lors du lotissement et qui serait aujourd’hui à l’origine de cet imbroglio.
L’Odhp appelle le Préfet et les autorités de façon générale à réagir pour trouver une issue favorable à ce problème délicat. Car si rien n’est fait, ce conflit pourrait provoquer des affrontements entre les parties concernées mais aussi rendre vulnérable des familles. En effet les ressortissants atacoriens ne savent plus où cultiver alors que leur activité principale est l’agriculture. Ils appellent alors les autorités à l’aide. «On ne sait où aller avec les grandes familles et nous sommes fatigués, nous sommes déjà vieux, on ne peut plus aller quelque part. Nous sommes ici avec des enfants et nos petits fils qui sont nés ici. Notre tuteur est mort. Nous demandons au secours, ça là ça nous dépasse. Nous demandons au secours aux autorités de jeter un regard sur ce problème pour nous départager », lance Anicet Kouagou. Vivement que ce cri de cœur soit écouté par les décideurs pour éviter le pire.
Il faut dire que les litiges domaniaux sont devenus un problème très préoccupant ces dernières années au Bénin avec à la clé plusieurs affrontements parfois meurtriers enregistrés dans certaines localités. Le Gouvernement a bien compris l’urgence d’agir en témoigne la création en Conseil des Ministres le mercredi, 11 mai 2022, d’une Cour spéciale chargée des affaires domaniales et foncières. Une belle initiative, mais encore faudrait-il aller vite pour rendre son fonctionnement effectif.
J. D.