A Sô-Ava dans le sud du Bénin, des obstacles multidimensionnels entravent l’accès des adolescents et jeunes (10-24 ans) à une information fiable et à des services adaptés en matière de santé sexuelle et reproductive. Sur place, plusieurs initiatives émergent dans l’objectif de faire bouger les lignes.
Il est 16 heures à Sô-Ava. Dans la maison suspendue au-dessus de l’eau, l’embarras est évident. Le sujet à évoquer est sensible : la santé sexuelle et reproductive. Angèle, 20 ans, est la première à parler. Elle est apprentie couturière, sexuellement active et sans enfant. «J’ai un copain avec qui j’entretiens des relations sexuelles » avance-t-elle. A la question de savoir s’ils se protègent, la jeune fille répond : « C’est Dieu qui protège. Dans mes prières je Lui demande de me laisser décrocher mon diplôme avant une grossesse. Tout dépend de sa volonté ». Angèle sait qu’il existe des méthodes contraceptives pour éviter les grossesses non désirées, mais elle les rejette. « Je n’en veux pas. On dit trop de mauvaises choses à leur sujet », lâche-t-elle.
Sa fillette d’environ six mois blottie contre elle, Dorcas, la vingtaine, surenchérit : « Le planning (Planning familial, NDLR) n’estpas du tout une bonne chose. Ça rend stérile. Ça peut tuer ».
Elle aussi rejette les méthodes contraceptives modernes. Elle associe d’ailleurs le préservatif à la légèreté. « Je sais que le préservatif, l’homme ne l’utilise qu’avec les filles de passage, pas avec celle qu’il compte mettre sous son toit», tranche-t-elle.
Pour éviter que sa petite amie ne contracte une grossesse, Innocent, 19 ans, a sa méthode : « Je double ou triple les préservatifs avant d’avoir des rapports avec elle, mais uniquement pendant sa période féconde», explique le jeune homme, convaincu d’être ainsi à l’abri.
Une précaution conseillée par ses amis, mais qui a fini par l’exposer à une infection sexuellement transmissible (IST) qu’il dit avoir traitée par automédication : « Je suis allé acheter un médicament à la pharmacie sur les conseils de mes amis qui avaient déjà eu cette maladie. »
Angèle, Dorcas et Innocent ne sont pas des cas isolés à Sô-Ava. Dans cette commune située sur le lac Nokoué au nord de Cotonou, la capitale économique du Bénin, les 10-24 ans se heurtent à des défis colossaux qui les empêchent de jouir pleinement de leurs droits sexuels et reproductifs.
« Il y a encore des cas de mariages et de grossesses précoces dans la commune, » déplore Florent Kouhouénou, relais communautaire à Sindomey, un village de l’arrondissement éponyme de la commune de So-Ava.
Son constat corroboré par les données du Guichet unique de protection sociale (GUPS) compilées dans le Plan de développement communal 2024-2028 : entre janvier 2019 et octobre 2024, 247 cas de mariages précoces dont 93 impliquent des filles de la tranche 10-14 ans ont été enregistrés. Sur la même période, 131 grossesses précoces ont été notées, toutes chez des filles de moins de 18 ans.
En filigrane derrières ces statistiques, un ensemble de freins qui empêchent les adolescents et jeunes d’exercer leurs choix en matière de sexualité et de reproduction
Jugements, tabous et silence
« Les principaux obstacles auxquels ils font face sont la peur du jugement ou du regard des autres ; le manque de moyens financiers pour accéder à certains services ; la distance géographique et surtout, les croyances et préjugés liés à la contraception », énumère Diane Gbétchidé, coordonnatrice de la région Sud de l’Association béninoise pour la promotion de la famille (ABPF).
Hugues Alladagbé, de l’ONG Terres Rouges, relève quant à lui regards critiques et moralisateurs qui dissuadent les jeunes de se rendre dans les services, même lorsqu’ils ont besoin de se protéger ou de se soigner.
Fagnon, 18 ans, a du mal à oublier la honte que lui a fait subir une prestataire de soins quand elle s’est rendue au centre de santé pour lui faire part de ses préoccupations sur la sexualité. « J’avais besoin d’information mais la sage-femme m’a tellement posé de question que je ne savais plus où me mettre. Elle m’a demandé quel âge j’avais pour commencer déjà à penser à ces choses. C’était gênant», se confie-t-elle.
Bien que l’article 5 de la loi béninoise relative à la santé sexuelle et à la reproduction garantisse à chacun le droit à une information complète sur les méthodes de planification familiale, Hugues Alladagbé regrette la stigmatisation qui accable les jeunes : « Pour certains parents, les méthodes contraceptives sont synonymes de voie ouverte à la dépravation des mœurs. »
« Le dialogue parent-enfant à travers lequel des informations peuvent être données aux jeunes filles sur le sexe est quasiment inexistant », ajoute-t-il. Pour combler ce déficit de communication, certains comme Annick, 19 ans, se tournent vers d’autres canaux, très souvent non fiables : « Quand elle a constaté que j’avais déjà mes règles, ma maman n’arrêtait pas de me dire “fais doucement avec les garçons si tu veux réussir ta vie”. Elle ne m’a jamais expliqué comment éviter de tomber enceinte. J’ai appris auprès de mes amies. »
Quand l’eau entrave l’accès aux DSSR

Derrière l’image pittoresque des maisons sur pilotis et des marchés flottants colorés de la commune de Sô-Ava, se cache une dure réalité: celle d’un accès à la santé pénible, entravé par le nombre insuffisant des formations sanitaires, leur éloignement, le coût du transport, d’où le faible taux de fréquentation des formations sanitaires qui est de 38%.
Pour FataouAmoussa, le premier adjoint au maire, « ces réalités géographiques compliquent fortement l’accès aux soins, et trop souvent, les distances ont signifié l’isolement, le renoncement, parfois la perte de vies humaines ».
A Houédo-Aguékon, un arrondissement où l’on retrouve des terres partiellement émergées, Rosine, 19 ans partage ses difficultés. « Il n’est pas du tout facile d’aller vers la sage-femme. On peut s’y rendre à pied, en marchant dans l’eau mais quand tout est inondé, il faut obligatoirement prendre une pirogue, ce qui n’est pas gratuit car le prix du transport dépend du coût du carburant ».
Tous les ans, autour du mois de septembre et pour deux à trois mois, le Nokoué déborde de ses rives, perturbant la vie quotidienne. « Pendant cette période, le nombre de filles et femmes que nous sensibilisons sur la planification familiale chute parce qu’elles ne peuvent plus se déplacer », explique Clément Gnonlonfoun, relais communautaire à Dossougao, village de la célèbre cité de Ganvié.
Miser sur la planification familiale
La commune de Sô-Ava connaît une croissance démographique galopante. De 37 818 habitants en 1979 à plus de 161 000 en 2024 selon le Plan de développement communal (PDC) 2024-2028, Sô-Ava a vu sa population plus que quadrupler. Selon les projections, la barre des 190 000 habitants pourrait être franchie d’ici 2030, avec près de 34 % d’adolescents et de jeunes.
Selon le dernier recensement général de population de 2013, Sô-Ava présente un indice synthétique de fécondité (ISF) de 6,1 enfants par femme, ce qui en fait une commune à forte croissance démographique. Au niveau national, l’ISF est de 4,7 d’après l’enquête MICS 2021-2022.
Des solutions adaptées

Face à l’urgence de prendre le taureau par les cornes, plusieurs initiatives ont vu le jour sur place ces dernières années. En 2015, le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) a accompagné l’ONG OSV/Jordan dans la mise en place d’une barque «Clinique mobile de planification familiale» en vue d’offrir gratuitement, en plus de la PF, plusieurs autres services dont la SRAJ au travers les villages de la commune. Le bilan, en une décennie, est jugé « positif » par sa directrice exécutive, Pulchérie Achadé.
Elle souligne que l’approche a créé un climat de confiance : les femmes qui ont besoin de services de santé reproductive et de planification familiale (SRPF) se rendent volontairement à bord, sans compter les adolescentes qui « s’y rendent sans problème » pour obtenir informations et moyens de contraception. Avec l’appui de l’UNFPA, la barque permet de desservir chaque village de la commune tous les trimestres.
Malgré ces succès, Pulchérie Achadé appelle à la vigilance : « Tant qu’il y a à faire, rien n’est encore fait. »
Face à une jeunesse grandissante, elle insiste sur le fait que la sensibilisation et l’offre de services ne doivent pas être ponctuelles, mais « continues » pour maintenir le cap. La pérennité de l’action est la clé pour que la compréhension des droits atteigne toutes les générations.
Plus récemment, en mai 2025, l’ABPF, avec le soutien de l’ONG Memisa a inauguré une clinique flottante avec pour public-cible, les femmes et les jeunes de Sô-Ava, mais aussi des Aguégués, une autre commune lacustre sujette aux mêmes vulnérabilités.
« Nous travaillons en étroite collaboration avec les chefs de villages, les chefs religieux, les relais communautaires, les agents de la mairie, les agents de santé, etc. Ils relaient nos messages, mobilisent les populations lors des passages de la clinique et contribuent à lever les résistances culturelles » explique Diane Gbétchidé.
Ces quatre derniers mois,beaucoup d’adolescents et jeunes ont franchi les portes de la clinique où leur est garantie la confidentialité. « Ils viennent aussi bien pour des consultations de santé sexuelle et reproductive que pour des conseils liés à la planification familiale. Les jeunes filles sont particulièrement nombreuses à solliciter des informations et des services confidentiels.», apprécie la coordonnatrice régionale de l’ABPF.
L’ABPF est également présente sur le terrain à travers le Mouvement d’action des jeunes qui sillonne la commune depuis 2022 en organisant des séances de sensibilisation, des causeries éducatives et des activités communautaires pour les 10-24 aussi bien scolarisés que déscolarisées ou non scolarisés.
« Nous menons des activités d’éducation, de sensibilisation et de référencement dans les écoles, les ateliers, les quartiers et les places publiques.», expliquait FawazAtindékoun lors de la mise à l’eau de la clinique flottante en mai dernier.
De son côté, l’ONG Terres Rouges multiplie aussi les séances d’information et de sensibilisation sur les DSSR sur le terrain. Pour Hugues Alladagbé, ces rencontres sont essentielles : « Ce n’est qu’à travers ce genre de séances qu’on peut les informer les jeunes sur les services et mettre la bonne information à leur portée. »
Elève en classe de terminale dans l’arrondissement de Sô-Ava, Thibaut Hagbè atteste de l’efficacité des séances de sensibilisation. «Nous y gagnons beaucoup parce que nous bénéficions de conseils sur la sexualité, d’informations sur nos droits, de beaucoup de connaissances sur les comportements responsables à adopter. »
Loin des discours moralisateurs, ces activités créent des espaces de dialogue où les adolescents peuvent poser leurs questions, exprimer leurs doutes et accéder à des réponses fiables.
Flore NOBIME