L’appauvrissement des sols devient de plus en plus accru au Bénin. Pour y remédier, les maraîchers font recours aux intrants chimiques. Cela facilite la culture des plantes et permet d’avoir des fruits bien verts et bien gros, mais cette pratique présente des conséquences néfastes à long terme sur la santé des consommateurs.
Delphine est mère de trois enfants et réside au quartier Titirou dans le premier arrondissement de Parakou. Delphine est fan de la salade de laitue. Chaque semaine, elle en mange. Lorsqu’elle veut en faire à la maison, elle préfère les feuilles de laitue bien vertes et des fruits comme la carotte, la pomme de terre… gros. Sans ces caractéristiques, elle n’en achète pas chez la vendeuse. Mais Delphine ignore les contours de la culture de ces fruits.
Albertine quant à elle a un faible pour les légumes. La “grande Morelle” appelé communément “Gboman” en fon est son préféré. Elle a une méthode propre à elle pour faire la différence entre les “Gboman” cultivées avec de l’engrais ou non. «D’abord, explique-t-elle, je regarde les feuilles. Celles qui sont cultivés avec l’engrais ont des feuilles plus vertes et larges». L’autre aspect pris en compte par Albertine est l’état des tiges. « Quand je coupe et que c’est dure, je comprends en même temps que c’est du naturelle », ajoute la trentenaire.
Au quartier Zongo Zénon, près de l’abattoir de la ville de Parakou, ce mercredi matin Issahou arrange la terre pour en faire des planches. Il pense y repiquer de la laitue. Issahou, 40 ans, est maraîcher. Il fait se métier depuis son plus jeune âge. Il l’a hérité d’ailleurs de ses parents. Il produit différents légumes de la laitue, de l’amarante, du basilic, des choux des carottes mais aussi des grandes morelles.
Avant de repiquer les jeunes plantes dans la planche, Issahou prépare d’abord ses planches. Il ramasse les déjections de bœuf à l’abattoir qu’il mélange en amont au sable pour fertiliser le sol.
Avec l’appauvrissement du sol avancé au fil des ans, les déjections de bœuf ne suffisent plus pour avoir le résultat voulu. « Quand la croissance est lente, nous achetons l’engrais des jardiniers. Pour fertiliser le sol et comme ça, les plantes grandissent vite », confie-t-il.
Selon lui, cet “engrais des jardiniers”, est un engrais liquide qui serait fabriqué au Bénin. « Ils nous ont dit que c’est fabriqué ici », affirme-t-il. Mais Issahou ne sait si cela peut avoir des conséquences sur la santé des consommateurs. Cependant, il doute. C’est pourquoi il ne l’utilise pas pour toutes les cultures. « Moi-même, façon, je vois ça, ça doit avoir de répercussions, c’est pourquoi je ne l’utilise pas trop », a-t-il confié. Toutes nos approches pour retrouver ce produit dans les endroits indiqués par Issahou ont été sans succès. Nous sommes par contre tombés sur d’autres fertilisants faits à base de plusieurs molécules solubles dans l’eau telle que : le fer, le zinc, le boro, le cuivre, le molybdène, le phosphore, le manganèse. Selon une étude réalisée par le gouvernement canadien, ces molécules absorbés en grande quantité peuvent avoir des répercussions sur certains organes vitaux et même impacter le système respiratoire.
Dans l’agriculture en général, plusieurs intrants agricoles sont utilisés. Les herbicides pour lutter contre les mauvaises herbes, les insecticides pour lutter contre les insectes, les fertilisants pour booster la croissance.
Dans le maraîchage, le plus utilisé est l’urée. Il est dénommé “Sel” par les maraîchers. Pour B. M, un ancien maraîcher qui a pratiqué le métier par le passé à Abomey-Calavi, l’urée constituait 30 % du fertilisant utilisé pour ses cultures. « C’est après la première coupe qu’on utilisait l’urée. On le dispersait en faible quantité sur la planche. Après l’arrosage pendant 2 à 3 jours, on y ajoute les fientes de poulet et les crottes de porc. Cela permet aux plantes de repousser rapidement. », explique-t-il.
Une fois utilisée, ces intrants agricoles vont impacter de plusieurs manières l’environnement. Dans un premier temps, Clément Aballo, environnementaliste parle de la contamination des sols et des eaux. Pour lui, les engrais chimiques peuvent contenir des nitrates et des phosphates, qui, lorsqu’ils sont appliqués en excès peuvent lessiver dans les sols et atteindre les nappes phréatiques, les cours et plan d’eau.
Elle peut ensuite créer une eutrophisation des cours et plans d’eau. Le spécialiste de l’environnement explique que «l’excès de nutriments, particulièrement les phosphates, dans les plans d’eau peut favoriser la prolifération d’algues. Lorsque ces algues meurent, leur décomposition consomme de l’oxygène et peut créer des zones mortes (Hypoxiques) ». L’utilisation des engrais chimiques peut aussi déséquilibrer les nutriments dans le sol et ainsi diminuer la fertilité des sols, souligne l’environnementaliste. Il a pour finir, aborder l’aspect pollution atmosphérique causée par la libération des gaz à effet de serre comme le protoxyde d’azote. Cela peut ainsi contribuer au réchauffement climatique.
Après l’utilisation, Clément Aballo indique qu’une partie des intrants se retrouve dans les plantes utilisées pour la consommation. Par ailleurs, la contamination de l’eau par drainage ou lessivage peut apporter des résidus des engrais chimiques dans l’eau utilisée pour l’irrigation ou de boisson. Aussi, plusieurs produits maraîchers sont consommés crus. On parle dans ce cas de « Bioaccumulation».
Selon Rafiou Baguidi, l’utilisation des intrants agricoles présente beaucoup de répercussions sur la santé humaine. «Il a été prouvé que leurs impacts peuvent aller jusqu’à causer le cancer. La consommation de tels types aliments amène même jusqu’à la diminution des spermatozoïdes chez l’homme. On a constaté que les régions où les intrants sont beaucoup utilisés, les hommes sont de moins en moins féconds. L’autre mal qu’on reçoit souvent dans nos centres, ajoute le médecin, est “le problème de nerf” et souvent graves. Ce sont des problèmes souvent irréversibles, car ils sont causés par des intoxications chroniques».
L’utilisation des intrants dans le maraîchage donne de très bons résultats avec des fruits aussi jolis qu’attirants, mais les molécules utilisées dans la fabrication de ces fertilisants endommagent de façon chronique l’organisme du consommateur. Raison de plus pour revenir à nos vieilles habitudes.