Au Bénin, les vacances sont synonymes d’organisation en masse de tournois de football. Pour renforcer leurs effectifs durant ces compétitions, des équipes amateures font appel à des joueurs professionnels qui résident dans d’autres villes contre des primes. Cette pratique est appelée “Kpaka” au Bénin. Pour plusieurs “Kpaka mans” (joueur du Kpaka), c’est une opportunité de distraction et de gain d’argent pour les joueurs qui, pour la majorité se retrouvent sans salaire pendant les vacances au Bénin. Malheureusement, la pratique présente énormément de risques pour ces derniers.
Chabi (un surnom), est un jeune défenseur béninois âgé de 25 ans, résidant à Parakou. Il évolue dans un club professionnel du Bénin. Très sollicité pour ses qualités défensives, Chabi affectionne beaucoup les périodes de vacances. A chaque sollicitation dans une ville, Chabi perçoit d’avance la prime de transport et de restauration avant de quitter Parakou. « La prime de transport dépend du prix du carburant». Une fois la prime de transport envoyée, elle est suivie de la prime de restauration qui est de «2000 francs CFA par journée», révèle t-il.
Après le match, le joueur perçoit sa prime de match et celle-ci ne dépend pas du résultat à la fin du match mais du standing du joueur. « La prime pour un match pour moi, au minimum c’est 10.000 francs CFA. Ça peut aller au-delà si l’équipe a assez de moyens et d’engouement autour d’elle», ajoute-t-il tout confiant.
Le Kpaka est une pratique pleine de risques selon Chabi qui nous avoue qu’ils sont sujets à des pratiques occultes et des blessures capables d’anéantir leur carrière.« C’est un risque», a-t-il reconnu.
Saison 2022, Abdoulaye Ouzérou, pendant qu’il était coach de la Jeunesse Sportive de Ouidah a identifié un jeune latéral dénommé Youssouf pour renforcer son effectif. Youssouf était un joueur de la Jeunesse Sportive de la Vallée-Bonou. Malheureusement après un match de Kpaka, Youssouf contracte une blessure incompréhensible qui a conduit à la décomposition de son pied. Quelques jours après, Youssouf a rendu l’âme. «J’ai encore son contact dans mon téléphone», nous a confié, Abdoulaye Ouzerou, actuellement coach de Loto Popo Fc, peiné.
Les mauvaises pratiques dans le Kpaka ne datent pas d’hier et selon le coach de Loto Popo Fc, «beaucoup gardent encore des séquelles de cette pratique».
«Les pratiques occultes que moi j’ai vues dans ces tournois (kpaka – Ndlr) à un jeune âge à l’époque, je ne les ai pas encore vues en championnat…vous avez des blessures bizarres, des maladies incompréhensibles et même des décès inexplicables causés par ces tournois de Kpaka.», nous révèle t-il.
Malgré cela Chabi a enchaîné l’année dernière plusieurs matchs dans une semaine entre Parakou, sa ville de résidence et Djougou où il est souvent sollicité pour des matchs afin d’avoir une somme consistante sans pour autant se soucier de la fatigue des différents voyages. « L’année dernière, un coach m’a dit qu’il va me déshabiller s’il me voit encore sur un terrain de football, en train de faire du Kpaka. Parce que j’ai joué 7 jours sur 7 », nous a-t’il raconté, après sa séance d’entraînement ce 25 juillet à Parakou.
L’avis du préparateur physique.
Après une saison pleine de près de 40 journées comme la nôtre au Bénin, le joueur devrait «observer environ 04 semaines de repos», selon Nouroudine Boni préparateur physique des Buffles du Borgou et Instructeur physique des arbitres dans le Borgou.
D’après le spécialiste, ces 04 semaines doivent être synonyme d’une vraie distraction pour le joueur afin de mieux récupérer de la saison qui vient de finir et s’apprêter pour celle en vue.
Le joueur qui ne respecte pas cette phase de récupération est sujet à des blessures. Au nombre de celles-ci, le préparateur physique a énuméré: « des contractions musculaires qui induisent à des déchirures, des blessures aux ischiojambiers, des élongations musculaires, l’endommagement des tendons d’Achille et aussi des douleurs musculaires aiguës.»
Des conseils à l’endroit de ces derniers, le spécialiste n’en manque pas. « Le joueur professionnel ne doit pas aller faire du Kpaka », pense-t-il.
Ainsi donc, il conseille aux joueurs de prendre le temps de bien récupérer plutôt que de faire le Kpaka d’aire de jeu en aire de jeu. « Durant cette période de repos, le joueur doit s’immerger dans la nature, faire de la natation, du shopping, dormir, aller dans des lieux touristiques, aller à la plage...», prodigue-t-il.
Pour un joueur qui compte évoluer au sein d’un club professionnel l’année suivante, « il doit prendre les vacances à profit pour se mettre à niveau. S’entraîner individuellement avec un préparateur physique pour remonter sa vitesse maximale aérobic (VMA), sa capacité de fréquence…», conseille le préparateur physique.
Les conséquences d’une prise répétée de comprimés.
Pour se remettre en forme, Chabi est devenu accro aux comprimés, « pendant les vacances, notre repos réside dans les anti douleurs.», lance-t-il, bien conscient du danger que cela représente.
L’utilisation abusive des anti douleurs présente assez de risques sur l’organisme du joueur selon Rafiou Baguidi, médecin de travail.
«Comme on les appelle en anglais, les comprimés sont des drogues qui, certes vont améliorer quelque chose mais peuvent par ricochet entraîner des effets secondaires ou endommager d’autres organes».
Selon le spécialiste de santé, la prise de répétée ou sans ordonnance de comprimés va entraîner «l’atteinte de certains organes comme le foie et les reins…une insuffisance rénale et hépatique peuvent survenir.».
Il avoue que, la prise de comprimés va effectivement diminuer la douleur mais ainsi, « le joueur prendra plus de risques et jouera plus brutalement, car les médicaments vont l’amener au-delà de ses limites et ne pourra plus sentir les signaux de l’organisme qui dit ” attention“. Des crises cardiaques peuvent s’en suivre. » explique-t-il.
Il a par ailleurs abordé aussi la question des effets secondaires que peuvent avoir les comprimés sur le joueur. Il s’agit entre autres de la somnolence, des effets d’affaiblissement capables de diminuer la performance du joueur. Sans oublier bien-sûr, les risques d’overdose, le phénomène d’accoutumance.
Le Kpaka causé par la défaillance du système.
L’ex international béninois Ouzerou Abdoulaye ne condamne pas pour autant les joueurs mais le système du football béninois. « Dans un pays comme le nôtre, où vous terminez le championnat et vous n’avez pas la date du démarrage du prochain, où, un club ne peut pas se projeter sur la nouvelle saison, parfois, vous faîtes 04 mois entre le dernier match d’une saison et le 1er de la prochaine, il y a un problème.», déplore-t-il.
L’autre problème selon ce dernier est le non payement du salaire sur toute la saison. Et dans se cas, « Vous voulez qu’ils (joueurs – Ndlr) se nourrissent comment ?», s’interroge t-il.
L’engouement ressenti autour de certains matchs n’a rien à envier au championnat national et le coach de Loto Popo insiste sur le fait qu’un joueur doit raviver la flamme qu’il a en lui. Une raison qui conduit les joueurs vers le Kpaka.
Très beau travail 🥰 !
J’ai pris du plaisir à vous lire.