Venu à la tête du Bénin en 2016 à la faveur de l’élection présidentielle à la succession de Boni Yayi, Patrice Talon va bientôt boucler dix ans de gouvernance. A quelque deux ans de la fin de son second mandat constitutionnel, un regard rétrospectif de la gestion du chantre de la rupture permet de constater des situations de revirement auxquelles ont été habitués les béninois. Habib Touré Dramane enseignant et membre du parti Les Démocrates dans une analyse, évoque les inconstances dans la gouvernance du Chef de l’État. L’acteur politique de l’opposition pense que les la rupture semble être prise à son propre piège de manœuvres les plus radicales appliquées manu militari malgré les multiples sonnettes d’alarme.
Lire un extrait de cette opinion du suppléant du député Sariki.
Le Chef de l’État et ses soutiens se débattent aujourd’hui, comme diablotins dans du bénitier pour se forger d’autres échappatoires. Cela s’observe depuis peu avec des ambitions clairement affichées des acteurs de la majorité présidentielle qui font feu de tout bois pour trouver une issue à travers des initiatives de relecture des textes notamment le code électoral et la constitution version rupture. Et pourtant !…
La première contradiction, c’est cette déclaration au cours de laquelle le président à sa prise de pouvoir jurait ne faire qu’un seul mandat. Une promesse qu’il a répétée avec frénésie à l’époque à plusieurs occasions. «Si par extraordinaire, le mandat unique ne passait pas, dans tous les cas, à titre personnel je ferai le mandat unique pour montrer à mes concitoyens que j’y crois fermement et qu’en cinq ans on peut faire le job et laisser la tâche à d’autres personnes.», rassurerait Patrice Talon qui venait de prendre le pouvoir en 2016. Plus loin, il affirme : «c’est vrai que le pouvoir tente, le pouvoir corrompt, le pouvoir finit par vous transformer dans le confort, l’allégeance de vos concitoyens, mais pour ma propre mature, ce sont, au contraire, des choses qui me gênent. Donc je ne pense pas que le pouvoir changerait ma nature.». Quelques années plus tard, l’auteur de ces propos, change casaque et devient demandeur d’un second mandat. S’il est vrai que le pouvoir politique “corrompt”, il n’en demeure pas moins que Patrice Talon a bien prouvé qu’il a manqué de tenir sa parole.
Et comme cela ne suffit pas, Patrice Talon pour imposer sa marque électorale a fait appliquer au forceps un code électoral contre lequel l’opposition avait émis des observations. Mais des voix rendues inaudibles. En 2019 avant les législatives, le locataire de la Marina invite les opposants pour leur démontrer leur tort quant à l’applicabilité du code électoral qu’il demandait. Face à ses interlocuteurs, le chef de l’Etat clame que: «Je serais à votre place que je serai capable d’être présent aux élections à venir. Il ne sert à rien de faire beaucoup de bruit, d’attaquer la loi qui est votée. Même si vous n’êtes pas d’accord, elle est votée, elle s’impose à tout le monde. Et de faire du aguidi». Au Bénin, les mêmes dispositions sont depuis quelques jours au cœur des échanges et prises de contacts avec les députés aux fins de les retoucher. Des rencontres initiées par Patrice Talon lui-même. Pourtant, les observations et critiques de l’opposition et d’autres acteurs au moment de l’adoption des textes ont coûté la liberté à plusieurs personnes. Les uns croupissent derrière les barreaux, les autres en exil ou vivent dans la clandestinité sans parler des victimes des violences électorales provoquées par l’application sans concertation de ces textes. Les arguments les plus décousus ont été distillés pour justifier la nécessité pour le pays de mettre en œuvre ces textes. Toute contradiction était prise pour cible. Mais c’était sans compter avec le facteur “temps”.
Les mêmes acteurs serpentent des idées dans l’opinion pour une relecture du code électoral. Comment revenir sur les dispositions qui ont été vantées comme le meilleur outil de développement que le Bénin ait connu depuis son existence. Quelle versatilité à quelque deux ans du mandat!
Bonjour alors des suspicions sur les réelles motivations du président en passe de finir ses deux quinquennats. Cerise sur le gâteau, la rupture s’embourbe dans une nouvelle démarche suspecte de révision de la constitution. Une constitution qu’elle s’est elle-même dotée au beau milieu de la nuit, sans aucun débat, sans aucune consultation populaire. La réforme semble ne durer qu’un instant de feu de paille. Pour cette nouvelle constitution dont la révision est de nouveau quémander depuis quelques jours, le pays a vécu des moments de tourmentes dont les séquelles sont encore vivaces.
Dans une posture de protestation, Joseph Djogbenou actuellement président du parti Upr de la majorité présidentielle, tonnait en avril 2012, qu’on ne peut pas changer une virgule de la Constitution sans en discuter avec le peuple. Une position défendue jusqu’à l’élection de Patrice Talon en 2016, son client à l’époque. Trois ans plus tard, le même l’aidera à modifier la même Constitution dans les mêmes conditions d’exclusion et d’opacité qu’il s’employait à dénoncer de 2012 à 2016. Loin d’en faire une “Bible” ou un “Coran” du Bénin, la rupture s’emploie vaille que vaille à faire de la Constitution un catalogue qu’elle retouche à sa guise et à tout vent.
A ce sujet, Patrice Talon face à la presse, jeudi 8 février 2024, dit ne pas être demandeur d’une loi de révision constitutionnelle. Une déclaration qui contraste avec les faits et gestes au sein de la majorité présidentielle depuis 2016. En effet, l’opinion béninoise a été habituée à des actions et décisions concertées. Où Assan Seibou a-t-il pu puiser ce courage pour entreprendre une démarche visant même à réduire de quelques jours le mandat du président sans en avoir discuté avec ce dernier ? Depuis quand la mouvance présidentielle se désolidarise-t-elle de son chef à qui tout a obéi jusque-là ? Pour convaincre de sa bonne fois, le premier responsable de la majorité présidentielle devrait instruire le porteur du projet révisionniste à l’effet de le retirer. Le contraire constituerait un manque de logique.
Dans cet enchevêtrement d’incohérence, Talon n’a jamais assumé son appartenance à une formation politique de son clan. Pourtant en 2021 alors qu’il était candidat à sa propre réélection, sa réforme exige que les candidatures soient portées par des partis politiques. Lequel du BR ou de l’Upr Talon est-il membre ? Tout compte faire, nul ne peut appartenir à deux partis politiques différents, furent-ils siamois, comme le prévoit la charte des partis politiques de la rupture. Patrice Talon, dit “réformateur national” en défendait comme la prunelle de ses yeux. Mais à l’heure de subir l’application de leur “label” défendu, les auteurs se contredisent en trouvant cette fois la nécessaire de revoir certains points.
La même contradiction s’observe dans la gouvernance Talon. Dans sa politique de recrutement des agents au profit de l’administration publique. Pendant que le gouvernement fait appel à des retraités pour servir dans l’enseignement, il a été constaté que plusieurs agents de la police, la douane et des eaux et forêts, sont mis à la retraite précipitée.
En somme, les réformes politiques sous la rupture peinent à attester de leur opportunité, à produire de bons fruits. Et les porteurs de ces réformes semblent être pris à leur propre traquenard. Avec les inconstances dans les raisonnements au sein de la majorité présidentielle, la gouvernance Talon s’apparente à une gestion d’improvisation.