C’est la première fois qu’on l’entend. Michel Dogo, le frère d’Eloi, le jeune étudiant tué à Parakou, s’est confié à Le Parakois. Il nous raconte ce qu’il s’est passé, donne des nouvelles sur l’état de la famille et réclame justice. Il a, aussi, tenu à dire ce qu’il pense de l’attitude de la police dans ce crime.
Le Parakois : Michel Dogo, vous êtes Doctorant en droit à l’Université de Parakou. Eloi Dogo est votre jeune frère. Comme vous, nous avons appris sa mort tragique qui ne cesse d’émouvoir et de susciter indignation. On entend plusieurs choses sur cette affaire, quelle est votre version des faits ?
Michel Dogo : C’est dans la nuit du mercredi 20 au jeudi 21, vers quatre heures du matin, que deux individus malintentionnés ont voulu arracher le véhicule d’un monsieur qui a quitté la Gaani et qui se rendait à Cotonou. Ce dernier avait marqué une pause à Parakou. C’est ainsi qu’il a crié au secours et les deux individus ont pris la fuite laissant sur place leur moto. Le monsieur a immédiatement alerté la police qui s’est rendu sur les lieux et pris la moto des malfrats. Le monsieur s’est rendu à l’hôpital et son véhicule a été déplacé. Il s’est donc fait soigner. C’est ainsi autour de 7h 30 quand mon jeune frère allait au service, il a pris par les lieux et les jeunes du quartier ont dit que c’est lui qui était venu braquer. Il a demandé sur quelle base se fondent-ils pour dire que c’est lui le voleur. Ils ont dit que vu sa taille et son gabarit, il serait certainement l’un des voleurs. Il a dit alors s’il en est ainsi, « appelez le commissariat si vous êtes sûrs que suis le voleur », ils ont dit non. « Appelez alors mon grand frère pour qu’il vienne témoigner que ne suis pas un voleur », ils ont dit non. « Appelez mon patron de service aussi pour qu’il vienne témoigner aussi », ils ont dit non.
Il leur demande ce qu’ils veulent alors. Ils lui disent qu’il est forcément le voleur et qu’ils doivent l’abattre tout de suite. Il dit mais « comment au Bénin vous pouvez dire que vous avez arrêté un voleur et faire justice soi-même ? »
Après quelques menaces ils avaient déjà voulu le brûler dans un coin. Grâce à sa force, il a pu leur échapper un moment. Arrivé au bord du goudron vers l’hôtel Sero Kora, il a commencé à demander du secours lorsque la foule s’est regroupée. Bizarrement ils l’ont trainé sur plus d’un kilomètre sur la voie allant à son service. La route inter état a même été bloquée. Et c’est ce qui est déplorable, inadmissible et inconcevable.
Sur une voie inter état dans la ville de Parakou, la plus grande ville du Nord, où nous sommes au vingt et unième siècle – dans une grande ville où il y a des commissariats, un camp militaire, une université, qu’on puisse faire quelque chose du genre pendant pratiquement une durée de deux heures de temps – et qu’il n’y ait personne pour pouvoir assurer la sécurité de ce jeune homme. C’est vraiment déplorable. Et la population a fini par commettre ce crime. C’est vraiment déplorable.
Pensez-vous que la police a une responsabilité dans ce qui est arrivé à votre frère ?
Contrairement à ce que beaucoup disent, moi je vois ça sous un autre angle. J’ai entendu mon doyen, le Professeur Moktar Adamou qui disait ceci, « la police a été fragilisée ». Et c’est normal, parce que lorsqu’on regarde dans une ville à statut particulier, et que la police se rende sur les lieux et qu’on voit un agent qui téléphonait – qu’ils puissent dire qu’ils (policiers) ont été incompétents à pouvoir disperser la foule, je me dis qu’il y a un problème. Nous sommes au cœur de la ville de Parakou, la CRS est là, je me demande ce qu’elle fait.
Si la CRS n’arrive pas à disperser la foule mais le camp militaire est là. Après tout, c’est la sécurité des hommes et des biens qu’ils doivent assurer. En plus c’est un individu et on ne meurt pas deux fois. C’est une personne qui était là et même si c’était le présumé voleur, il ne revient pas à la population de se faire justice, nul n’a le droit de se faire justice. Il y a des autorités compétentes en la matière. Ce n’est pas pour rien on a des commissariats, tribunaux ou cours d’appel. Sincèrement sur ce point, comme l’a dit le professeur, je dirais que la police a été défaillante sur l’affaire. C’est mon jeune frère que j’ai perdu et je sais ce qui m’anime ce qui me choque, je sais ce qui me révolte sur cette affaire. Donc franchement pour être honnête, la police n’a pas fait ce qu’elle devrait faire. Sinon elle pouvait sauver mon jeune frère. La preuve au moment où il n’avait pas encore été brûlé, la police était là, il était dans l’agonie et on pouvait toujours le sauver. Franchement la police n’a pas joué son rôle comme il le fallait.
Maintenant, quelle réaction attendez-vous de la police ?
La moindre des choses que j’aurais souhaité est que cette police puisse se rattraper en détectant les auteurs de ce crime. C’est cela qui fera que nous aussi, le choc que nous avons et la douleur que nous avons pourraient un peu se dissiper. Ce n’est pas que ça partira tout de suite, mais c’est révoltant, c’est choquant. Tout de suite, si justice ne se fait pas, les gens vont continuer dans ce sens. Il faut sanctionner et sensibiliser pour que désormais les gens sachent que quand on attrape un voleur, la première chose à faire est de l’amener dans un commissariat le plus proche, ou avertir le délégué du quartier. J’ai foi en la justice de mon pays et je sais que quelque chose pourra être fait parce que ça ne peut pas rester impuni. C’est quelque chose qui est déjà à l’internationale, ce n’est même plus seulement dans le contexte du Bénin. J’ai des amis un peu partout qui m’ont écrit et je me suis dit donc c’est déjà allé jusque là-bas ! Je crois donc que c’est l’image du pays qui est en train d’être salie. Si rien n’est fait, ça veut dire qu’il y a un problème. Prenez le cas des États-Unis avec l’affaire Georges Floyd.
Comment va la famille Dogo et comment gère-t-elle cette situation ?
Tout le monde est traumatisé, en particulier la maman, jusqu’à l’heure-là. Même pour aller aux toilettes, les gens la surveillent, et c’est difficilement elle mange, de même que notre père. Nous les parents, franchement on n’arrive pas encore à digérer ça. Je tiens encore une fois à remercier mes camarades et tous ceux qui ont essayé de relayer les informations pour que justice soit faite. Je dirais donc que la famille, on tient toujours à ce que justice soit faite parce que c’est inconcevable. Aujourd’hui, c’est vrai que c’est Dogo Eloi, mais demain ça peut être le cas d’autres personnes. Il suffit seulement que certaines personnes ne soient d’accord avec toi, que tu te retrouves dans leur quartier, au mauvais endroit et tout de suite ils vont se rendre justice et te tuer banalement. C’est la vie d’un individu qui est en jeu. Donc franchement, pour que la famille soit satisfaite, il faut que vraiment les acteurs de ce crime soient arrêtés et que les responsabilités soient partagées à tous les niveaux.