La Cour Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples vient de rendre deux ordonnances contre l’État béninois. La première concerne l’effet du retrait par l’Etat de la déclaration du protocole qui empêche les citoyens et organisations non gouvernementales de saisir directement la cour. Dans sa décision la Cour a conclu que <<le retrait de la déclaration
déposée en vertu de l’article 34 du Protocole n’a pas d’effet rétroactif et n’a aucune incidence sur les affaires pendantes au moment de la notification du retrait, comme c’est le cas pour la présente requête. La Cour a également confirmé que tout retrait de la Déclaration ne prend effet que douze mois après le dépôt de l’instrument de retrait. En ce qui concerne l’Etat défendeur, l’instrument de retrait ayant été déposé le 25 mars 2O2O, le retrait de la déclaration faite en vertu de l’article 34 prendra effet le 25 mars 2021>>.
La seconde ordonnance est relative à une plainte de Éric Noudehouenou Houngue, un citoyen béninois, économiste et fiscaliste de formation conte l’Etat béninois à travers une requête devant la cour. Le Requérant, dans sa requête au fond expose que la loi n°2019-40 du 07 novembre 2019 portant révision de la Constitution béninoise exclut de la participation aux affaires publiques du Bénin tout citoyen béninois qui n’est pas affilié à un parti politique et institue le parrainage comme condition à la candidature. Dans sa décision, la cour ordonne, entre autres à l’État de prendre toutes les mesures idoines afin d’accorder, de faire jouir effectivement et sans entrave le droit de candidature au plaignant et à tout Béninois qui désire se porter candidat libre sans passer par un parti politique, au titre des élections communales et municipales de 2020.
L. W. T.
Lire l’intégralité de l’ordonnance de CADHP
La Cour composée de : Sylvain ORÉ, Président, Ben KIOKO, Vice- Président, Rafaâ
BEN ACHOUR, Ângelo V. MATUSSE, Suzanne MENGUE, M-Thérèse
MUKAMULISA, Tujilane R. CHIZUMILA, Chafika BENSAOULA, Blaise TCHIKAYA,
Stella I. ANUKAM, lmani D. ABOUD – Juges ; et de Robert ENO : Greffier.
En l’affaire
Houngue Eric NOUDEHOUENOU
Représenté par La SCPA Robert Ntl. Dossou et [t/aître Laurent Bognon, Avocats au
Barreau du Bénin.
Contre
LA REPUBLIQUE DU BENIN
Représentée par l’Agent Judiciaire du Trésor
Après en avoir délibéré,
Rend la présente ordonnance
I. LES PARTIES
1 [Vlonsieur Houngue Eric Noudehouenou, (ci – après, dénommé le
Requérant) est un citoyen béninois, économiste et fiscaliste de formation.
L’Etat Défendeur est la République du Bénin (ci – après dénommé, « I’Etat
Défendeur >>), devenue partie à la Charte Africaine des Droits de l’Homme
et des Peuples (ci-après, dénommé « la Charte ») le 21 octobre ‘1986 et au
Protocole relatif à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples
portant création d’une Cour Africaine des Droits de I’Homme et des Peuples,
le 22 aoû|2014. ll a, en outre, fait le 08 février 2016 la déclaration prévue
par I’article 34(6) dudit Protocole en vertu de laquelle il accepte la compétence de la Cour pour recevoir les requêtes émanant des individus et
des organisations non gouvernementalesl.
Le 25 mars 2020, I’Etat défendeur a déposé auprès de la Commission de
l’Union Africaine l’instrument de retrait de la Déclaration qu’il avait faite en
vertu de l’article 3a (6)du Protocole
EFFET DU RETRAIT PAR L’ETAT DEFENDEUR DE LA DECLARATION
PREVUE A L’ARTICLE 34 (6) DU PROTOCOLE
La Cour rappelle que dans son arrêt dans l’affaire lngabiré Victoire c.
République du Rwanda2, elle a conclu que le retrait de la déclaration
déposée en vertu de l’article 34 (6) du Protocole n’a pas d’effet rétroactif et
n’a aucune incidence sur les affaires pendantes au moment de la notification
du retrait, comme c’est le cas pour la présente requête. La Cour a également
confirmé que tout retrait de la Déclaration ne prend effet que douze (12)
mois après le dépôt de l’instrument de retrait.
En ce qui concerne l’Etat défendeur, l’instrument de retrait ayant été déposé
le 25 mars 2O2O,le retrait de la Déclaration faite en vertu de l’article 34 (6)
prendra effet le 25 mars 2021.
ur. OBJET DE LA REQUETE
6 Le Requérant, dans sa requête au fond expose que la loin”2019-40 du 07
novembre 2019 portant révision de la Constitution béninoise exclut de la
participation aux affaires publiques du Bénin tout citoyen béninois qui n’est
pas affilié à un parti politique et institue le parrainage comme condition à la
1 f Etat Défendeur a également ratifié le Pocte tnternationol sur les Droit civils et Politiques (PDCIP),
el le Protocole A/SP1/12/01 de lo Communouté Economique des Etots de l’Afrique de l’Ouest
(CEDEAO) sur lo démocrotie et lo bonne gouvernonce, additionnel ou protocole relotif ou méconisme
de prévention, de gestion, de règlement des conflits, de mointien de lo poix et de la sécurité ,le 27
décembre 2001. ll a, en outre, ratilié la Charce Africoine de la démocratie, Ies élections et de lo
gouvernance (30 janvier 2007), ratifiée par la loi n’2011-18 du 05 septembre 2011.
2 Requête n”oo3/zo\4. Décision du 03/06/2016 sur le retrait de la déclaration, lngabire Victoire
Umuhozâ c. République du Rwanda, candidature à l’élection du Président de la République. Ceci a pour effet de
remettre en cause le principe d’impartialité et d’alternance démocratique.
A cela s’ajoutent I’exigence d’un quitus fiscal prévu par le code électoral du
Bénin dont la délivrance relève de la seule compétence du Directeur des
lmpôts, et l’instauration par le Conseil constitutionnel béninois d’un certificat
de conformité à la loi n”2018-23 du 17 septembre 2018 ce qui n’existe pas
dans la loi n’2018-31 du 09 octobre 2018 qui régit les pièces de candidature.
Le Requérant allègue à l’encontre de l’Etat défendeur les violations des
articles :
i- <<21,2,7,8,10, 18, 19, 20 et 3 de la Déclaration Universelle des Droits
de l’Homme du 10 décembre 1948 (ci-après dénommée la « DUDH »);
ii. 25,2, 14-1,26, 18, 19 et 7 du Pacte lnternational des Droits Civils et
Politiques du 16 décembre 1966 (ci-après dénommé le PIDCP ») ;
iii. 13,2,3,8, 9, 10, 7,23 (1) de la Charte Africaine des Droits de
l’Homme et des Peuples (ci-après dénommée la «Charte »);
iv. 4,6,7,10, 11,13, 15, 17,23,27 et39 delaCharteAfricainedela
Démocratie, des élections et de la gouvernance du 31 janvier 2007
(ci-après dénommée « la Charte Africaine de la Démocratie ») ;
v. 1, 10, et 33 du protocole A/SP1/12I01 sur la démocratie et la bonne
gouvernance additionnel au protocole relatif au mécanisme de
prévention, de gestion, de règlement des conflits, de maintien de la
paix et de la sécurité de la CEDEAO ratifié par la loi n’2003-11 du 09
juillet 2003 (ci-après dénommé « le Protocole de la CEDEAO ») ».
9. Le Requérant sollicite au fond les mesures suivantes
i) « Une décision affirmant que sont fondées les violations des droits
humains du Requérant et que I’Etat défendeur a violé chacun des
droits humains en cause ou des articles des instruments
internationaux évoqués ;
ii) une décision ordonnant à l’Etat défendeur de prendre toutes les
mesures constitutionnelles, législatives et autres dispositions utiles dans un délai d’un mois et avant les prochaines élections, afin de
mettre fin aux violations constatées et informer la Cour des mesures
prises à cet égard ;
une décision ordonnant particulièrement à l’Etat défendeur de
prendre toutes les mesures afin de garantir au plaignant comme à
tout citoyen béninois, le droit de participer librement et directement
aux élections communales, municipales, de quartiers de ville et de
villages de 2O2O ;
une décision ordonnant à l’Etat défendeur de prendre toutes les
dispositions afin de faire cesser tous les effets des violations dont il
a été reconnu coupable par cette Cour conformément au chapitre
« lX Réparation du préjudice subi >> de la résolution 60/147 des
Nations Unies du 16 décembre 2005 ;
une décision permettant au plaignant, eu égard à l’urgence des
questions de fond, de compléter ultérieurement I’analyse juridique
sur les réparations des préjudices pécuniaires et moraux dans un
délai que la Cour fixera ;
un ordre que l’Etat défendeur paie le coût de cette action ;
un ordre que l’Etat défendeur soit condamné aux entiers dépens ».
vi)
vii)
10. Par une requête distincte jointe, le Requérant sollicite les mesures
provisoires suivantes :
i. << énoncer aux Parties, l’interprétation de I’article 13 (1) de la Charte
sous réserve de l’appréciation au fond des dispositions du droit
interne béninois par rapport à cette interprétation ;
ii. ordonner à l’Etat Défendeur de prendre toutes les mesures idoines
afin d’accorder, de faire jouir effectivement et sans entrave le droit
de candidature au plaignant et à tout citoyen béninois qui désire se
porter candidat libre, sans passer par un parti politique, au titre des
élections communales, municipales, de quartiers de villes et de
villages de I’année 2020’,
iii. ordonner à l’Etat Défendeur de prendre toutes les mesures idoines
afin d’accorder, au plaignant et à tout citoyen béninois qui se porte candidat libre, dans les conditions d’égalité et de non-discrimination,
les attributions de sièges d’élus ;
iv. ordonner à l’Etat Défendeur de prendre toutes les mesures idoines
afin de délivrer au plaignant et à tout citoyen béninois les documents
administratifs nécessaires pour leurs candidatures en respect du
principe de la présomption d’innocence ;
v. ordonner à l’Etat Défendeur de prendre toutes les mesures idoines
afin de garantir la transparence du scrutin de 2020 ;
vi. ordonner à l’Etat Défendeur de prendre toutes les mesures idoines
afin d’éviter une seconde crise post-électorale au titre des élections
de 2O2O et pour « établir et maintenir un dialogue politique et social,
ainsi que la transparence et la confiance entre les dirigeants
politiques et les populations en vue de consolider la démocratie et la
paix » conformément à l’article 13 de la CADEG ».
IV. RESUME DE LAPROCEDURE DEVANTLACOUR
Le 21 janvier 2O2O,le Requérant a déposé au Greffe de la Cour les requêtes
au fond et en demande de mesures provisoires.
Le 18 février 2020, en application de l’article 34 (1) le Greffe a accusé
réception desdites requêtes et conformément à I’article 36 du Règlement de
la Cour les a notifiées à l’Etat Défendeur en lui demandant de bien vouloir
soumettre sa réponse sur les mesures provisoires dans un délai de quinze
(15) jours et celle au fond, dans un délai de soixante (60) jours.
13. Le 28 février 2020, le Greffe a reçu du Requérant un complément de
preuves et de moyens concernant les demandes au fond et des mesures
provisoires. ll l’a notifié le 05 mars 2020 à l’Etat Défendeur en lui priant de
lui transmettre sa réponse dans le délai de huit (8) jours à compter de la date de réception. Le 04 mars 2O2O,le Greffe a également reçu un courrier de l’Etat Défendeur
sollicitant un délai supplémentaire de quinze (15) jours à compter du 03
mars 2020, pour répondre aux demandes de mesures provisoires. cette
demande a été notifiée au Requérant le 05 mars 2020 pour ses
observations dans un délai de trois (3) jours à compter de la date de
réception.
Le 10 mars 2020, le Greffe a accusé réception de la demande de
prorogation de l’Etat Défendeur et lui a demandé de faire parvenir sa
réponse sur les mesures provisoires dans un délai de huit (8) jours à
compter de la date de réception.
Le 18 mars 2020, le Greffe a reçu la réponse de l’Etat défendeur et l’a
notifiée au Requérant pour ses observations.
IV. SUR LA COMPETENCE DE LA COUR
17. Le Requérant affirme, sur le fondement des articles 27-2 du Protocole et 51
du Règlement, qu’en matière de mesures provisoires, la Cour n’a pas à se
convaincre qu’elle a compétence sur le fond de I’affaire, mais simplement
qu’elle a compétence prima facie.
18. Se référant, en outre, à l’article 3 -1 du Protocole, le Requérant estime que
la Cour est compétente dans la mesure où, d’une part, l’Etat Défendeur a
ratifié la Charte Africaine et le Protocole. ll a également fait la déclaration
prévue par l’article 34 (6). ll allègue des violations de droits protégés par les
autres instruments des droits de l’Homme.
19. Lorsqu’elle est saisie d’une Requête, la Cour procède à un examen
préliminaire de sa compétence, en application des articles 3 et 5 (3) du
Protocole et 39 du Règlement lntérieur de la Cour (ci-après <<le
Règlement »).
20. L’article 3(1) du Protocole dispose << la Cour a compétence pour connaître
de toutes les affaires et de tous les différends dont elle esf saisle concernant
l’interprétation et I’application de la Charte, du Protocole et de tout autre
instrument peftinent relatif aux droits de I’homme et ratifié par tes États
concernés >>.
21. Aux termes de l’article 5(3) du Protocole, << la Cour peut permettre aux
individus ainsi qu’aux organisations non gouvemementales (ONG) dotées
de statut d’obseruateur auprès de la Commission d’introduire des requêtes
directement devant elle, conformément à I’article 34(6) du Protocole >>.
22. La Cour note en effet que l’État Défendeur a ratifié la Charte et le Protocole.
ll a également fait la déclaration acceptant la compétence de la Cour pour
recevoir des requêtes émanant d’individus et d’organisations non
gouvernementales conformément aux articles 3a(6) et 5(3) du Protocole lus
conjointement.
23 Les droits dont le Requérant allègue la violation sont tous protégés par la
Charte, le PIDCP, le Protocole de la CEDEAO, la DUDH, qui sont tous des
instruments que la Cour est habilitée à interpréter et appliquer en vertu de
I’article 3(1) du Protocole3.
24 A la lumière de ce qui précède la Cour rappelle sa jurisprudence constante
selon laquelle elle n’a pas à s’assurer qu’elle a compétence sur le fond de
l’affaire, mais qu’elle a compétence prima faciea. V. SUR LA RECEVABILITE
25. L’Etat défendeur a soulevé l’irrecevabilité de la requête tirée de l’absence
d’urgence ou d’extrême gravité et de dommage irréparable.
***
26. la Cour souligne qu’en matière de mesures provisoires, ni la Charte, ni le
Protocole, n’ont prévu de conditions de recevabilité, l’examen desdites
mesures n’étant assujetti qu’à la compétence prima facie, ce qui, en
l’espèce a été faits.
27- Les articles 27 (2) du Protocole et 51 (1) du Règlement auxquels se réfère
t’État Oefendeur pour asseoir l’irrecevabilité de la Requête constituent, en
réalité, les conditions qui permettent à la Cour de faire droit ou non à une
demande de mesures provisoires6.
28. La Cour note qu’elle n’apprécie pas la recevabilité des mesures provisoires
demandées. Elle s’en tient simplement à l’appréciation de sa compétence
prima facie. Elle ne peut donc faire suite à l’exception d’irrecevabilité
introduite par I’Etat défendeur.
29. En conséquence, la Cour rejette l’exception d’irrecevabilité
VI. SUR LES MESURES PROVISOIRES DEMANDEES
30. Le Requérant indique dans sa requête sur les mesures provisoires que
l’article 153-1 de la loi n”2019-40 du 07 novembre 2019 portant révision de
la Constitution béninoise exclut de la participation aux affaires publiques
tout citoyen béninois qui n’a pas de parti politique ou qui ne figure pas sur
la liste d’un parti politique. ll allègue, en outre, que cette même loi crée une
nouvelle condition de candidature, celle sur le parrainage en vue de l’élection du président de la République par des élus. Ceci a pour effet de
supprimer l’im partialité et l’alternance démocratiq ue.
31. A cela s’ajoute l’exigence d’un quitus fiscal prévu par le code électoral du
Bénin et dont la délivrance relève de la seule compétence du Directeur des
lmpôts ce qui n’est pas une garantie contre l’abus et l’arbitraire. Egalement
un certificat de conformité à la loi n’2018-23 du 17 septembre 2018 instauré
par le Conseil constitutionnel par décision EL 001 du 1″‘ février 2019 ce qui
n’existait pas précédemment. Aussi demande{-il à la Cour de prendre les
mesures provisoires ci-dessus énoncées (voir paragraphe 7).
32- Le Requérant allègue d’une part, l’imminence des prochaines élections le
17 mai 2O2O ef, d’autre part, la survenance de préjudices irréparables.
S’agissant de l’imminence des élections communales et législatives, le
Requérant produit un compte rendu du Conseil des Ministres de l’Etat
Défendeur du 22 janvier 2020 qui a adopté le décret portant convocation
du corps électoral pour le 17 mai 2020. ll affirme que la date limite de dépôt
des candidatures aux élections du 17 mai 2020 est fixée au 11 mars 2020.
33. Selon le Requérant, si, dans ces circonstances, aucune mesure provisoire
n’est prise, les droits humains seront violés au cours des prochaines
élections de 2020 par l’exclusion des candidats libres, la violation des droits
à la liberté d’association, à la liberté d’expression et celle du droit à l’égalité.
Il soutient en outre, concernant le préjudice irréparable, que si les élections
se tenaient malgré les violations alléguées et que même si la Cour de céans
venait à rendre un arrêt à l’encontre de I’Etat du Benin, celui-ci n’annulerait
jamais lesdites élections.
34. Enfin, selon lui, cette situation pourrait entrainer de graves troubles causant
mort d’hommes.
35. L’Etat défendeur fait valoir que par urgence, il faut entendre, << le caractère
d’un état de fait susceptible, s’il n’y est porté remède à bref délai, de causer
un préjudice irréparable » tandis que l’extrême gravité est une situation de violence accrue et de nature exceptionnelle justifiant que la Cour y mette un
terme.
L’Etat défendeur conclut donc que les mesures provisoires sollicitées ne
procèdent d’aucun constat d’urgence et de situation d’extrême gravité.
En ce qui concerne le dommage irréparable, l’État défendeur fait noter qu’il
se distingue du préjudice difficilement réparable et se réfère à l’action dont
les conséquences ne peuvent être effacées, réparées ou compensées,
même par une indemnisation.
Selon l’Etat défendeur, les mesures provisoires ne sont envisageables qu’à
titre exceptionnel, lorsqu’un requérant est exposé à un risque réel de
dommage irréparable, comme une menace à la vie ou de mauvais
traitements prohibés par les instruments juridiques internationaux ou une
violation grave et manifeste de ses droits.
L’Etat défendeur affirme enfin qu’outre le défaut d’urgence et de préjudice
irréparable, les demandes de mesures provisoires, en tout état de cause,
relèvent de l’appréciation du dossier au fond.
***
La Cour relève que l’article 27(2) du Protocole dispose : « dans /es cas
d’extrême gravité ou d’urgence et lorsqu’il s’avère nécessaire d’éviter des
dommages irréparables â des personnes, la Cour ordonne /es mesares
provisoires qu’elle juge pertinentes ».
Au regard de ce qui précède, la Cour tiendra compte du droit applicable en
matière de mesures provisoires lesquelles ont un caractère préventif et ne
préjugent en rien le fond de la requête. La Cour ne peut les ordonner
pendente que si les conditions de base requises sont réunies, à savoir
l’extrême gravité ou l’urgence et la prévention d’un dommage irréparable
sur les personnes. 42. La Cour rappelle que le Requérant a sollicité six (6) mesures provisoires, à
savotr
i. << énoncer aux Parties, l’interprétation de l’article 13 (1) de la Charte
sous réserve de l’appréciation au fond des dispositions du droit
interne béninois par rapport à cette interprétation ,
ii. ordonner à l’Etat Défendeur de prendre toutes les mesures idoines
afin d’accorder, de faire jouir effectivement et sans entrave le droit
de candidature au plaignant et à tout citoyen béninois qui désire se
porter candidat libre, sans passer par un parti politique, au titre des
élections communales, municipales, de quartiers de villes et de
villages de l’année 2020;
iii. ordonner à l’Etat Défendeur de prendre toutes les mesures idoines
afin d’accorder au plaignant et à tout citoyen béninois qui se porte
candidat libre, dans les conditions d’égalité et de non-discrimination,
les attributions de sièges d’élus ;
iv. ordonner à l’Etat Défendeur de prendre toutes les mesures idoines
afin de délivrer au plaignant et à tout citoyen béninois les documents
administratifs nécessaires pour leurs candidats en respect du
principe du respect de la présomption d’innocence ;
v. ordonner à l’Etat Défendeur de prendre toutes les mesures idoines
afin de garantir la transparence du scrutin de 2020 ;
vi. ordonner à l’Etat Défendeur de prendre toutes les mesures idoines
afin d’éviter une seconde crise post-électorale au titre des élections
de 2020 et pour « établir et maintenir un dialogue politique et social,
ainsi que la transparence et la confiance entre les dirigeants
politiques et les populations en vue de consolider la démocratie et la
paix »> conformément à l’article 13 de la CADEG ».
ll apparait clairement à la Cour de céans que les mesures provisoires
demandées peuvent être classées en trois catégories dont elle entreprend
à présent l’examen.
Sur la mesure provisoire relative à I’interprétation de l’article 13
(1) de la Charte
44 La Cour observe qu’en droit international les mesures provisoires sont des
mesures qui, sous le sceau de I’urgence, servent à la préservation d’une
situation juridique ou à la sauvegarde des droits ou des intérêts menacés
par le risque d’un dommage.
45 La Cour relève que la mesure sollicitée par le Requérant consiste en une
interprétation d’une disposition de la Charte ou à déterminer leurs modalités
d’application. La Cour est persuadée que ceci dépasserait sa stricte fonction
contentieuse, seule mise en æuvre dans le cas d’espèce.
46. De plus, l’interprétation demandée concernant un article relatif à la
participation libre des citoyens à la direction des affaires publiques dont la
violation est alléguée par le Requérant préjuge nécessairement le fond du
litige. Cela conduirait la Cour à examiner les aspects qu’elle aura à instruire
dans le cadre du contenu matériel de l’instance au fond.
47. Par conséquent, la Cour rejette cette demande
ii. Sur les mesures provisoires 2 à 4 visant à soumettre la
candidature libre à la délivrance de documents administratifs et
à d’autres conditions
48.La Cour observe que l’urgence, consubstantielle à l’extrême gravité, s’entend
de ce qu’un << risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable soit causé
avant qu’elle ne rende sa décision définitive ». ll y a, donc, urgence chaque
fois que << les actes susceptibles de causer un préjudice irréparable peuvent
“intervenir à tout moment” avant que la Cour ne se prononce de manière
définitive dans l’affaire ».
49.La Cour souligne que le risque en cause doit être réel, ce qui exclut le risque
purement hypothétique et explique la nécessité d’y remédier dans
l’immédiat.
50. En ce qui concerne le préjudice irréparable, la Cour estime qu’il doit exister une
« probabilité raisonnable de matérialisation » eu égard au contexte et à la
situation personnelle du requérant7.
51. La Cour note que les mesures provisoires 2 à 4 se rapportant à des droits
politiques, ont une acception particulière;
52. Ces droits sont protégés par l’article 2 de la Charte Africaine. ll est bien
rappelé que « toute personne a droit à la jouissance des droits et libertés
reconnus et garantis dans la présente charte… ». De plus, I’article 13 (1)de
la Charte pose le principe général en droit de l’Homme selon lequel « tous
les citoyens ont le droit de participer librement à la direction des affaires
publiques de leur pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de
représentants librement choisis ».
53. La Cour note qu’il n’est pas contesté que le Requérant ne peut, en l’état
actuel présenter sa candidature aux prochaines élections communales,
municipales, de quartiers de villes et de villages ;
54. La Cour estime que le risque pour lui de ne pas se présenter à ces élections
est réel, de sorte que le caractère irréparable du préjudice qui en résultera
est indiscutable.
55 La Cour note, au regard de ce qui précède que les conditions exigées par
I’article 27 (2) du Protocole sont remplis.
Par conséquent, elle ordonne à I’Etat Défendeur de prendre toutes les
mesures nécessaires afin de lever de façon effective tout obstacle
administratif, judiciaire et politique à la candidature du Requérant aux
prochaines élections communales, municipales, de quartier, de ville et de
village.
sur les mesures provisoires 5 et 6 visant à garantir la transparence
des élections de 2020 et à éviter une crise post-électorale au titre
desdites élections
La Cour observe que le Requérant n’apporte pas la preuve que les élections
de 2020 ne seraient pas transparentes encore moins que des troubles en
surviendront.
58. La Cour déclare qu’elle ne fera pas suite à ces demandes
59. La présente ordonnance ne préjuge en rien des conclusions sur la
compétence, la recevabilité et le fond de la Requête.
VII. DISPOSITIF
60. Par ces motifs
La COUR,
A l’Unanimité,
Ordonne à l’Etat défendeur de prendre toutes les mesures
nécessaires afin de lever de façon effective tout obstacle
administratif, judiciaire et politique à la candidature aux prochaines
élections communales, municipales, de quartier, de ville ou de
village au bénéfice du Requérant.
il Demande à l’Etat Défendeur de faire rapport sur la mise en æuvre
de la présente ordonnance dans un délai de quinze (15) jours à compter de la date de réception.
Rejette toutes les autres mesures demandées
Ont signé :
Sylvain ORÉ, Président ;
Robert ENO, Greffier ;
Fait à Arusha, cinquième jour du mois de mai de I’an deux mille vingt.